dimanche 18 août 2013

Photographie et peintres académiques




La technique de la photographie qui se vulgarise dès la Belle Époque apporte une vision plus spontanée, avec une relation au modèle totalement différente : la pose sera désormais courte et son éclairage travaillé.
L'utilisation de la photographie trouvera véritablement son essor avec l'exploitation des techniques sur papier. Dès lors le tirage complétera ou se substituera même au modèle vivant proprement dit, délivrant celui-ci des contraintes d'une immobilité prolongée tout en permettant un gain de temps.
Les modèles pour artistes servaient également souvent de modèle aux photographes qui pouvaient par ailleurs être les peintres eux-mêmes : Mademoiselle Hamély posa ainsi pour Delacroix, Durieu et Nadar. Courbet, le parfait exemple d'un artiste sachant utiliser la photographie pour mieux s'en affranchir et créer le réalisme, employait le même modèle que le photographe Vallou de Villeneuve.

En 1839, le peintre Paul Delaroche découvrant les premiers daguerréotypes s'inquiéta sur la concurrence faite à la peinture. Quelque peu radical, il remarque : "A partir d'aujourd'hui, la peinture est morte..."
Effectivement, le portrait daguerréotypé, en particulier, est très rapidement prisé par la bourgeoisie qui le considère plus objectif et surtout meilleur marché et plus moderne que son homologue peint.
Les premiers photographes seront souvent des peintres "reconvertis" qui appliqueront donc presque spontanément dans leurs compositions les règles académiques alors en vigueur et c'est tout naturellement que leurs photographies de nu serviront ensuite de documentation.
Ces tirages contribueront à l'étude du corps qui, jusqu'alors et à défaut de modèle vivant, se faisait surtout grâce aux documents puisés dans les recueils spécialisés, ce qui avait naturellement pour conséquence fâcheuse d'imposer et de trop diffuser un même type d'attitude. La photographie par sa grande diversité ne présentant pas bien sûr cet inconvénient.
Dès 1850, apparut donc en France à destination des artistes un marché d'épreuves photographiques reprenant l'esprit des poses académiques des tableaux. Cependant, le petit format des premiers daguerréotypes, conjugué à son exemplaire unique, constituait encore un handicap. Rapidement la technique évolua et les académies purent être tirées en multiples sur papier albuminé, par un procédé négatif-positif, qui préservait tous les avantages de contraste et de précision des daguerréotypes.
Parallèlement à ce marché pour peintre et en raison du caractère érotico-artistique des tirages, ces académies photographiques intéressèrent aussi toute une clientèle masculine loin d'être insensible à la représentation du corps de la femme.
Dès lors ce type de photographie se multiplia et engendra par là-même un encadrement plus strict de son contenu, et celui qui les signait de son nom pouvait s'exposer désormais à certains risques de poursuite.
En 1851, par exemple, eut lieu le procès du photographe parisien Félix Jacques-Antoine Moulin. On avait trouvé chez lui et chez le commerçant nommé Malacrida rapporte le jugement : "Un nombre important d'images obscènes que l'énonciation même des titres constituerait déjà un délit d'outrage publique aux bonnes moeurs". Le commerçant fut condamné à un an de prison et à 500 francs d'amende et le sieur Antoine Moulin, daguerréotypeur, à un mois de prison et 100 francs d'amende.
En 1887, le ministre Thémis finit par intervenir afin d'encadrer la diffusion, de plus en plus répandue, de photographie et de carte de nus académiques. Un décret du 11 juin reprend les dispositions de la loi de 1881 sur les publications, en interdisant que celles-ci aillent "à l'encontre des bonnes moeurs et des institutions" et poursuit la pornographie. A la suite de quoi, il fallait s'entendre sur la définition du mot "pornographie".
En 1904, le sénateur Bérenger se chargea de faire ajouter un décret dans ce sens qui spécifiait notamment : Que toute trace de pilosité figurant sur les reproductions anatomiques étaient proscrites, devant suivre en cela la tradition de la peinture occidentale. Ces mesures expliquent sans doute pourquoi la carte postale diffusant les nus - reproduisant des peintures exposées au Salon - fut tolérée pour son aspect "culturel" et connu un réel engouement.

Les pionniers de la photo de nu - Belloc, Berthier, Braquehais ou encore Vallou de Villeneuve - étaient également peintres et/ou lithographes et leur formation académique ainsi que les canons de l'époque influençaient tout naturellement le choix de la pose du modèle, de la composition et de l'éclairage. Bien qu'en général plus sobre et moins exubérante, l'académie photographiée présente très souvent une analogie avec l'académie peinte.
Mucha utilisa beaucoup la photographie et était d'ailleurs ami de Nadar. "C'est très beau la photographie, mais il ne faut pas le dire", s'exclamait déjà Ingres. Et de fait, dès son invention, ce moyen technique fut utilisé par les peintres pour leur travail. Cependant les artistes par fierté eurent tendance à le cacher et à s'en défendre. Quelques-uns comme Delacroix avouaient son utilité et Mucha reconnaissait même s'en servir et ne pas s'inquiéter de son rapport avec ses créations, accomplissant ce que Beaudelaire proclamait être la véritable fonction de la photographie, une documentation, un carnet de notes, un gain de temps réalisé grâce à son côté essentiellement utilitaire.

La mise au point de la photographie.
Joseph-Nicéphore Nièpce invente d'abord un nouveau procédé lithographique à Chalon-sur-Saône. En 1827, il souhaite reproduire une copie exacte de la nature par un procédé en chambre noire. Il emploie un instrument optique dont la lumière sort sous forme de rayons lumineux qui agissent sur une plaque sensible. Les zones claires de l'image ont été protégées par du bitume de Judée, alors que les parties sombres restent exposées à la lumière.
Louis-Jacques Daguerre s'associe avec Nièpce en 1829 et par la mise au point du "daguerréotype" (iode sur plaque d'argent) en 1838, il contribue à la vulgarisation définitive de la photographie.

Photographes & Modèles
Les photographes du début du XXème siècle ne disposant pas encore d’éclairage électrique travaillaient avec la lumière du jour qui filtrait à travers la verrière de l’atelier. Un système de rideau permettait de doser cette lumière et de l’adoucir afin d’éviter les ombres trop marquées. Des réflecteurs, sorte de grands miroirs, étaient également employés ou bien alors aussi des draps blancs tendus toujours pour estomper ces ombres.
L’appareil de prise de vues est une chambre de grand format, lourde et volumineuse, posée sur un pied. Pas question de la déplacer entre deux clichés. La mise en place du décor et du modèle se fait en fonction du champ de l’appareil. Les négatifs, sur des plaques de verre, sont de faible sensibilité, ils nécessitent donc un temps de pose assez long. Le modèle doit rester immobile pour que la photo reste nette. Pour faciliter la pose, le modèle prend appui sur un élément du décor, ou bien on l’installe sur une chaise ou un canapé. Lorsque le sujet est debout on a recours à un tuteur pour que le modèle maintienne son corps et sa tête. Lorsque le support reste visible sur le négatif il faut l’effacer par retouches. Les contraintes techniques ne facilitent pas le travail du photographe mais lorsque celui-ci sait en tirer parti, la lumière est très douce sans ombre disgracieuse. Le grain de la photo est généralement fin et reproduit le moindre détail.

Dans un article de presse intitulé : « La vie et les mœurs des modèles », Louis Vauxcelles rapporte que les modèles professionnels des années 1850, traditionnellement d’origine italienne, se trouvent 50 ans plus tard remplacés par la Parisienne. Il explique que le nu académique n’est pas forcément ce que l’on demande : « nos modèles de 1905 savent se retrousser, porter un collet de chinchilla, des bottines de chevreau glacé, des gants à douze boutons. Déshabillés, en corset ou en Vénus ils ont de l’allure et de l’esprit – Rares sont les modèles qui restent modèles. On pose, en attendant mieux, pour faire plaisir à un ami peintre, pour parfaire le louis nécessaire à la couturière ou au proprio. On est midinette, fleuriste, blanchisseuse, mannequin, chanteuse, actricette, demi-mondaine… à raison de 5 francs la matinée. On peut compléter ses revenus si l’occasion se présente et l’on monte sur la planche pour poser l’ensemble ou le détail. Certaines, que le métier amuse sans trop fatiguer, ou que la camaraderie d’artistes séduit, demeurent modèles trois mois, trois ans. Mais la plupart ne considèrent l’emploi que comme un pis-aller de transition. »

La revue « L’Étude académique », destinée à un public d’artistes et qui lui propose des poses variées, note dans son éditorial du 1er août 1905 :
« Pour faire une œuvre maîtresse, il ne suffit pas que l’artiste ait l’intelligence de la forte conception de son art, il faut encore qu’il soit servi par la perfection de son modèle ».
La plupart des femmes représentées dans cette revue sont belles et très féminines, généralement petites et avec des hanches bien marquées, elles sont bien plus potelées que nos contemporaines mais elles dégagent toujours un charme indéniable.
Entre 1905 et 1920 plusieurs centaines de femmes sont venues se déshabiller devant l’objectif des photographes de la revue. Certaines l’ont fait de manière occasionnelle et d’autres plus régulièrement. Elles ont en moyenne entre 20 et 25 ans, mais il arrive parfois de faire poser de très jeunes filles de 14 ans, la législation de l’époque n’y trouvant alors rien d’anormal.
En 1903, après Le Panorama Salon de Ludovic Baschet, Émile Bayard publie le premier numéro de la revue mensuelle Le Nu Esthétique. Annoncé comme un album de documents artistiques d’après nature, le magazine se propose d’inspirer les artistes en leur présentant des photos de modèles nus, hommes, femmes et enfants dans des poses variées mais toujours académiques. Si les modèles masculins portent un cache-sexe, souvent en forme de fleur ou feuille, les femmes y apparaissent dans toute leur nudité, au moins jusqu’en 1908 , c’est-à-dire avant l’intervention du sénateur Bérenger dit « le père la pudeur ».
Devant le succès de cette publication, d’autres éditeurs utiliseront à leur tour le prétexte artistique pour vendre du Nu. En effet, il semble suffisant afin d’éviter la censure de mentionner : « A l’usage des peintres et des sculpteurs ».
En février 1904 paraîtra le premier numéro de l’emblématique « L’Etude Académique », bi-mensuel créé par Amédée Vignola. Le fascicule prétend toujours servir les artistes, peintres, sculpteurs, architectes, décorateurs, graveurs… En fait, il semble que la revue n’ait pas vraiment inspiré lesdits artistes ; le seul exemple notoire étant celui d'Henri Matisse qui y découpait ses nus.

Au début du siècle dernier la nudité reste tolérée dans la mesure où elle n’est ni obscène, ni contraire aux « bonnes mœurs ». Les poses doivent se conformer aux règles de l’académisme en vigueur chez les peintres et sculpteurs. Cependant, la loi ne définit pas la frontière étroite entre l’obscénité et le toléré, laissant aux juges le pouvoir d’en décider eux-mêmes.
Jusqu’en 1908 presque tout est permis, les photos ne sont pas retouchées mais celles-ci ne bénéficient ni d’affichage ni de publicité, les magazines sont présentés sous des couvertures cachetées et interdits aux mineurs. Photos et publications diverses sont souvent vendues par correspondances.

Sources :
Christian Bourdon "Jean Agélou" - Ed. Marval Paris 2006
Uwe Scheid Collection "1000 Nudes" - Ed. Taschen Köln 2005
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