Dans les encyclopédies d'art et jusqu'après l'ouverture du Musée d'Orsay, les chapitres réservés à la peinture académique se trouvent étrangement sous-représentés ou même carrément absents.
Leurs auteurs, lorsqu'ils parlent de la seconde moitié du XIXème siècle, ne considèrent que l'art romantique et réaliste, Manet et les impressionnistes et un peu le symbolisme.
Ceux qui hier et de leur vivant ont été reconnus et adulés, c'est-à-dire les peintres académiques et "pompiers", ont purement et simplement été rayés des cadres de l'histoire de l'art.
La règle du copyright : L'image rentre généralement dans le domaine public 70 ans après le décès de son auteur aux États-Unis d’Amérique, en Australie, dans l’Union Européenne...
LE GRAND SIECLE DU NU - L’ART ACADEMIQUE
Tony Robert-Fleury 1838-1911 - Le dernier jour de Corinthe, vers 1870
Huile sur toile 400 X 600 - Paris, musée d'Orsay
Fin du XIXème - La femme devient fréquemment le thème central de l'oeuvre, sous forme d'allégorie ou, plus prosaïquement, dans sa vie quotidienne. Mais la peinture d'histoire ne disparaît pas totalement, elle continue à interpréter les événements qui ont marqué le présent et surtout le passé, aussi quand le sujet le permet, elle ne se prive pas de mettre en scène des nus. Le nu féminin, quel qu'en soit le prétexte, reste l'un des thèmes favoris du XIXème siècle et l'érotisme qui s'y rattache se distingue souvent dans la peinture d'histoire par des scènes de violence et de cruauté mais le martyr se doit d'être éternellement beau et digne.
Le monumental tableau de Tony Robert-Fleury, Le dernier jour de Corinthe, est un reflet plus romantique que crédible de la catastrophe. Pourquoi les jeunes femmes sont-elles dénudées, sortent-elles d'un lupanar ? Plus sûrement elles sont là pour plaire à tout un public d'amateurs - averti !
Paul Jamin (1853-1903), Le Brenn et sa part de butin, huile sur toile 162 x 118 - La Rochelle, musée des Beaux-Arts
Il n'est pas certain que la scène ait un jour figuré dans les manuels scolaires - trop triviale, trop gauloise, qu'en penseraient les écoliers et les garçons surtout ! Pourtant, bien qu'idéalisé le Brenn avec sa part de butin, autrement dit le chef qui en plus de l'or et de l'argent se réserve de jeunes romaines brunes ou rousses, appétissantes à souhait et déjà prêtes, a probablement du exister. Notons que le fier gaulois avec son sourire satisfait et sa lance sanguinolente ne manque pas d'appétit.
La caractéristique de l'art académique réside à la fois dans le fini des éléments peints très figuratifs et dans leur précision, cette conception se trouve à l'opposé de la théorie moderne où tout tend à s'abstraire et à se suggérer avec une finition souvent très secondaire. Cette conception est encore associée par dérision à un simple artisanat habile, soi-disant signe d'un manque de talent et d'originalité.
La peinture académique, émanation directe des règles strictes du classicisme et du néoclassicisme, constitue en quelque sorte l'antithèse exacte de l'art contemporain mais avec toutefois un point commun de taille :
- celui d'être ou d'avoir été soutenu par des instances officielles.
Et une différence d'importance :
- l'adhésion du public d'alors pour la peinture académique mais le rejet ou l'ignorance de l'art contemporain par le public d'aujourd'hui.
En permanence, hier comme actuellement, l'organisation du système culturel, de ses valeurs, trouvera toujours ses réformateurs et même, parfois, ses détracteurs. Ceux-ci chercheront à établir de nouvelles pratiques et de nouvelles conceptions et, donc, à rejeter les anciens postulats officiels malgré la résistance au changement d'une partie de la communauté professionnelle reconnue, et attachée naturellement au maintien des anciens fondements.
L'éducation artistique aujourd'hui n'est plus, loin s'en faut, une initiation dogmatique dans une tradition imposée que l'étudiant n'a pas les moyens d'évaluer ou la liberté de critiquer ; les techniques habituelles et les exemples canoniques ont été rejetés au profit de techniques aléatoires supposées libérer l'expressivité latente des élèves.
Les années 1848-1870 représentent une époque charnière dans l'histoire de l'art en France.
Héritière des courants dominants de la première moitié du XIXème siècle : romantisme d'une part et néo-classicisme d'autre part, elle se poursuit jusqu'à la naissance de l'impressionnisme.
Encore très fortement marquée par la tradition académique, cette période est caractérisée par la persistance de structures qui constituent ce qu'on appelle le "système des Beaux-Arts". Les artistes sont amenés à se situer par rapport à ce système. La plupart d'entre eux en acceptent les règles et obtiennent - généralement - la faveur du public et de la critique. D'autres, sans remettre totalement ce système en cause, évoluent à sa marge et rencontrent davantage de difficultés à faire admettre leurs oeuvres.
Chaque année, l'Académie organise un certain nombre de concours à l'intention de ses élèves.
Le concours était considéré alors comme le système démocratique par excellence. Outre les divers diplômes et médailles, ces concours décidaient quels étudiants seraient admis à l'Ecole des Beaux-Arts, à quels ateliers ils pourraient participer, et même là où ils prendraient physiquement place dans la classe.
Durant le XIXème siècle l'apprentissage technique du dessin dispensé par l'Ecole des Beaux-Arts se double de théorie : En premier lieu par l'histoire générale, axée à chaque fois sur une période donnée qui narre aux élèves des événements historiques ou mythologiques de manière a susciter leur imagination. Du cours de littérature, que les élèves appellent "la Comédie Française de l'Ecole", celui-ci permet d'ajouter à l'histoire l'aspect poétique : chaque page de Sophocle ou d'Homère peut se traduire par un tableau...
Pauvert Odette Marie, née en 1903, première femme à obtenir le prix de Rome en peinture
La légende de saint Ronan, huile sur toile Grand prix de Rome de peinture d'histoire, 1925
Les Albums photographiques des oeuvres d'art achetées par l'Etat, principalement aux Salons à Paris.
Conservés au Centre historique des Archives nationales les albums dits "des Salons" présentent des oeuvres d'art (peintures, sculptures, médailles, pièces d'orfèvrerie, relevés d'architecture) achetées chaque année par le Bureau des Travaux d'art aux artistes, notamment ceux qui ont exposé au Salon à Paris et y ont été récompensés. Jusqu'en 1882, le Salon est organisé sous l'égide de l'administration des Beaux-Arts, puis son organisation revient à la Société des Artistes français (Champs-Elysées). A partir de 1890 un second salon qui est aussi agréé par l'Etat, est organisé par la Société nationale des Beaux-Arts (Champ de Mars). Les photographies des oeuvres dont l'Etat fait l'acquisition à ce second Salon apparaissent aussi dans les albums.
Ces 33 albums forment un ensemble homogène pour les achats et les salons de 1864 à 1901 et sont particulièrement intéressants sur le plan documentaire. En effet certaines des oeuvres photographiées ont disparu et les photos en constituent le seul témoignage, mais dans leur majorité, elles existent toujours et font partie des collections actuelles de l'Etat, qu'elles relèvent de la Direction des musées de France lorsqu'elles sont conservées dans les musées ou de la Direction de l`Architecture et du Patrimoine, si elles sont conservées dans des édifices, principalement les églises.
Par ailleurs, ces albums sont aussi le reflet exact du goût et de l'art officiel en vogue sous le Second Empire et la Troisième République.
Peu avant la Première Guerre Mondiale, l'art de la Belle Epoque a été appelé "Pompier" par dérision, à partir du moment où les peintres impressionnistes ont triomphé après avoir eux-mêmes subi les moqueries du public durant quelques années.
Les peintres académiques ne méritent certainement pas la méprisable appellation de "Pompiers" car ils ne sont pas dépourvus de talent dans l'ensemble. En fait, leur tort c'est surtout d'avoir été les récipiendaires de commandes officielles, ce qui leur vaudra d'être contestés par ceux qui n'ont pas été retenus par le jury du Salon et qui se sont donc trouvés exclus des achats et de la reconnaissance publics.
En plus, on classa dans la catégorie des "Pompiers" des artistes qui firent souvent preuve d'originalité et d'audace dans leurs oeuvres comme Gustave Moreau ou Puvis de Chavannes, alors que d'autres représentants de l'académisme tels que Meissonier, Carolus-Duran ou Bouguereau ne se limitèrent pas pour autant à produire de mièvres images.
Tous ces peintres ou presque avaient une technique très aboutie et une grande culture artistique.
L'histoire du Salon
Dénommé “exposition” depuis son origine, il prendra l’appellation “Salon” en 1725, lorsqu’il sera inauguré dans le “salon carré du Louvre”. Son orthographe évoluera de “sallon” en “salon”. Celui-ci obtiendra vite un immense succès et deviendra l'événement incontournable pour se faire connaître, le Salon se déroulera jusqu'en 1848 toujours au Louvre pour ensuite migrer dans différents palais, plus vastes, de Paris.
A la suite de la protestation de certains exposants mais surtout de plusieurs artistes dont les oeuvres n'ont pas été acceptées, ce qui amènera les premières dissidences en 1863, il sera créé une exposition parallèle, le Salon des Refusés, qui réfute le jury du Salon officiel en lui reprochant son académisme. Suivra en 1884 la création du Salon des Indépendants et plus tard, en 1903, celui d'Automne.
La peinture, au sens propre du terme, fait sans aucun doute partie d'une des plus grandes traditions de toute l’histoire humaine. Pourtant, depuis une centaine d’années, elle subit de la part de quelques intellectuels influents - et en particulier la peinture de la seconde moitié du XIXème siècle - des attaques renouvelées et impitoyables. Ni la littérature, ni la musique, ni aucun autre domaine culturel n'a connu une telle mise à l'index. Les tableaux hier primés, appréciés par la grande majorité du public, et achetés par l'Etat se sont trouvés, après la reconnaissance de Cézanne et Picasso, remisés et complètement dévalorisés. Sort immérité et la plupart du temps injustifié.
En effet, ces tableaux qualifiés avec dédain de "pompier" font souvent preuve, non seulement de maîtrise technique, mais aussi d'imagination, de diversité, de fantaisie ; bref, de tout ce qui constitue l'essence même d'une authentique oeuvre d'art. Tous les sujets sont abordés...
Des centaines de tableaux à partir de la seconde moitié du XIXème et durant près d'un siècle ont été acquis par l'Etat français. Parmi ceux-ci et selon la mode du moment, un bon nombre représente ce qu'il est convenu d'appeler, dans toute la richesse de leurs diversités, des nus académiques.
Quelques-uns sont encore visibles à Orsay, d'autres dans les musées de province. On peut également penser qu'une partie des peintures a servi d'élément de décor au logement de hauts fonctionnaires. Mais ensuite, quand la tendance devint à proprement parler au "Moderne", que sont-ils devenus ? Pour la conservation des musées : un simple numéro, un document photographique - à la localisation inconnue - selon le terme laconique de l'administration.
Le Palais du Trocadéro, dont l'architecture est inspirée de l'art mauresque, est construit pour l'Exposition Universelle de 1878 et c'est sur ce site que sera construit l'actuel Palais de Chaillot, pour l'Exposition Universelle de 1937.
La France après la défaite de 1870 puis une guerre civile, et après quelques temps d'hésitation, choisit le Champs-de-Mars pour construire un énorme palais rectangulaire (706m sur 304m) dont les coins sont bordés de pavillons d'angles, et la butte de Chaillot où elle érigera le Trocadéro.
Botticelli, Titien, Rubens et Boucher ont honoré la nudité féminine, lui conférant un statut respectable et en quelque sorte officiel. Dans la seconde partie du XIXème siècle, les visiteurs du Salon de Paris ou bien encore ceux des expositions d'été de la Royal Academy de Londres, peuvent contempler sans problèmes moraux et sans culpabiliser les nus plus ou moins sensuels de Bouguereau ou de Lord Leighton.
Le Nu "académique", désormais bien ancré dans la morale bourgeoise, se trouve représenté dans toutes les manifestations artistiques de l'époque. Il est incontestablement populaire et avec l'invention de la photographie et du procédé de photogravure, les reproductions de ces nus de Salon, toujours glabres, seront vendues en énormes quantités. Des critiques comme Armand Silvestre, des revues, sont même spécialisés dans la description du genre.
Jules Garnier 1873 - Ce tableau semble bien représentatif du goût qui s'annonce pour la représentation de la nudité ostentatoire. Ici, il ne s'agit pas de la Vénus de Cabanel mais la pose est tout autant langoureuse.
L'artiste joue sur les contrastes et pense mettre en valeur le beau corps blanc de l'européenne par opposition à la présence des indiens à la peau noire.
Scène incongrue : Que fait-elle, que font-ils ici ? L'air nonchalant plus qu'hagard, elle regarde le spectateur, eux - les sauvages - l'observent médusés plus qu'admiratifs. A n'en pas douter, la référence à quelques faits historiques ou mythiques existe bel et bien mais le spectateur d'aujourd'hui - et peut-être aussi celui d'hier - l'ignore. Profanes, nous ne voyons qu'une belle femme allongée qui ne cache rien, pour notre plaisir sûrement et, finalement, que ferions-nous à la place des deux indiens ?
A noter, la calligraphie de la signature bien lisible et de grande taille, usage assez courant à l'époque.
La peinture moderne et la peinture actuelle ont la plupart du temps évacué le sujet. Au contraire, celui-ci est omniprésent dans l'art académique et pompier.
Le Nu se trouve ainsi justifié par la mythologie, par la scène orientale, par la fantaisie parfois même incongrue.
Le critique d'art de l'époque, Gaston Schéfer, commente avec lyrisme les peintures exposées en mai et juin 1896 aux Palais des Champs-Elysées et du Champs-de-Mars, mais sans trop parler d'érotisme, thème encore tabou.
Sarkis Diranian - Repos dans une piscine orientale.
A de rares exceptions près, la vie de la femme d'Orient est le repos. Qui comptera les journées qu'elle passe au bain, étendue sur un tapis, au bord des piscines de marbre ? C'est là que s'écoulent les meilleures heures de son existence. Elle les occupe à manger des fruits, à fumer le narguilé persan, à causer avec des amies des riens innombrables qui forment la trame de leur vie. En Orient, les heures s'écoulent si vite qu'on arrive au terme de son âge sans s'être aperçu qu'on l'a consommé.
Dans la seconde moitié du XIXe siècle, un nombre important de femmes peintres, françaises et étrangères, sont actives professionnellement à Paris, et exposent au Salon, la manifestation annuelle d’art contemporain. À la différence de leurs confrères, elles ont à se positionner par rapport à divers préjugés, notamment celui du dilettantisme qui influence leurs choix stylistiques.
A cette époque, Paris s’affirme comme la capitale des arts et des idées du monde occidental. Pour beaucoup de peintres, femmes et hommes confondus, un séjour dans cette cité cosmopolite est perçu comme indispensable à la consolidation de leur apprentissage, car l’enseignement traditionnel en vigueur dans les ateliers s’y confronte aux nouvelles tendances esthétiques.
L'IMAGE DE LA FEMME - Yahvé Dieu dit : "Il n'est pas bon que l'homme soit seul, il faut que je lui fasse une aide qui lui soit assortie."
Alors Yahvé Dieu fit tomber une torpeur sur l'homme qui s'endormit. Il prit une de ses côtes et referma la chair à sa place. Puis, de la côte qu'il avait tirée de l'homme il façonna une femme et l'amena à l'homme. Alors celui-ci s'écria : "Pour le coup, c'est l'os de mes os et la chair de ma chair ! celle-ci sera appelée femme, car elle fut tirée de l'homme, celle-ci !"
C'est pourquoi l'homme quitte son père et sa mère et s'attache à sa femme, et ils deviennent une seule chair. Or tous deux étaient nus, l'homme et sa femme, et ils n'avaient pas honte l'un devant l'autre. La Genèse, chapitre 2, 18-25
A partir de 1896, les jeunes femmes auront la possibilité de fréquenter la bibliothèque de l'Ecole des Beaux-Arts de Paris et pourront aussi assister aux cours magistraux de perspective, anatomie et histoire de l'art, à condition qu'elles aient bien rempli les conditions d'admission.
Elles doivent formuler une requête écrite, être âgées de quinze à trente ans, et présenter un acte de naissance ainsi qu'une lettre de recommandation d'un professeur ou d'un artiste confirmé. Pour les prétendantes étrangères une lettre de leur consulat ou de leur ambassade.
De tout temps l'homme a aimé contempler un joli corps de femme, avec ou sans artifices.
Et le peintre, ou le sculpteur, aura toujours l'avantage sur le photographe de pouvoir regarder deux fois son modèle, de l'observer en nature et en train de se faire.
Dès lors, quoi de plus naturel que de se le représenter en peinture et l'artiste du XIXème siècle s'impose comme un incontestable spécialiste du genre. La femme a perdu ses formes avec l'arrivée de l'art moderne, les nus académiques, désormais jugés vulgaires, ont été mis à l'index. Doit-on continuer a en avoir honte ?
Sans doute l'Atelier de peinture dirigé par Jean-Léon Gérôme à l'Ecole des Beaux-Arts de Paris au tout début du XXème siècle.
A remarquer : Le mur palissade qui sert à essuyer les pinceaux et le massier, responsable d'atelier, qui présente avec facétie le modèle. Le contraste est saisissant entre la femme menue et blanche et les fiers "rapins" en tenues sombres qui l'entourent.
On prend la pose bien sûr mais l'ambiance paraît plutôt décontractée, on fume au premier plan, on a retroussé le bas du pantalon - pour faire voir ses bottillons ? Un autre, assis en tailleur, montre la mallette du peintre, sans oublier de chaque côté les chevalets.
Depuis peu, les modèles peuvent être également du genre féminin et les femmes quant à elles obtiennent l'autorisation d'entrer dans un atelier qui leur est tout spécialement destiné en 1900. Celui-ci, sera codifié comme ses homologues masculins...
Le second document, assurément postérieur, nous montre la même cloison en bois toujours aussi maculée de peinture et un joyeux désordre avec des élèves encore très élégants portant gilets, cravates, noeuds fantaisies... Un d'entre-eux, sous le regard attentif du professeur, termine un portrait curieusement sans rapport avec la séance de nu académique.
En règle générale, dans les écoles d'art à Paris comme en province, le cours de nu académique était incontournable et les séances de pose avaient lieu une fois par semaine. Le modèle avait droit, sous peine de crampes, à quelques interruptions de ladite pose à condition bien entendu de retrouver la position initiale ; pour se faire, des marques sur le sol ou sur la table tournante et les indications des étudiants lui facilitaient la tâche.
Comme on peut le constater, les études peintes respectent les règles anatomiques, l'interprétation personnelle n'est pas encore encouragée, on est là avant tout pour apprendre le "métier".
Ci-dessous, en hommage aux représentations de dos, pour le moins sensuelles, de Jean-Léon Gérôme.
Gérôme, 1886 - Vente d'esclaves à Rome. Tableau chargé de bien des fantasmes masculins. En effet, avec la femme-esclave presque tous les interdits disparaissent, d'ailleurs soyons francs, quel est l'homme qui ne souhaiterait posséder une telle esclave - rien que pour son plaisir - et ne mérite-t-elle pas déjà la fessée ?
Contrairement à Cabanel qui nous montre la Vénus allongée, Bouguereau et Gérôme ses contemporains nous la présentent plus traditionnellement debout, bien de face, avec en prime un élégant déhanchement chez le modèle de Bouguereau.
Débarrassée de ses attributs mythologiques comme les "putti", il ne reste plus dans les trois tableaux représentant la naissance de Vénus qu'une belle femme nue, désirable, avec un corps de nacre à l'anatomie parfaite, dont l'abondante chevelure bien mise en évidence par un gracieux jeu de mains, renforce encore une incontestable sensualité. Les peintres n'ont semble-t-il pas boudé leur plaisir ; sous prétexte de modernité, d'intellectualisme, ne boudons pas le nôtre... Cabanel paraît s'en donner à coeur-joie, à l'encontre d'une certaine tradition, il n'hésite pas à montrer avec quelques provocations la belle déesse à la longue chevelure en train de mettre ostensiblement ses formes en valeur par un étirement langoureux du corps. Le peintre a peut-être été inspiré en cela par Auguste Clésinger qui proposa dès 1847 une sculpture pour le moins subjective "La Femme piquée par un serpent".
De par la qualité de ses enseignants, l'Académie Julian acquit rapidement une certaine renommée. Elle put ainsi présenter ses élèves au Prix de Rome tout en servant de tremplin à ceux qui ambitionnaient d'exposer dans les Salons ou de se lancer dans une carrière artistique.
Tout comme dans les écoles des Beaux-Arts, les étudiants sont souvent livrés à eux-mêmes, il n'est pas rare que le professeur ne fasse qu'une courte apparition - l'apprentissage se faisant finalement autant à travers l'émulation et les conseils entre élèves. La discipline n'était pas des plus rigoureuse et, à l'occasion, les élèves se faisaient remarquer par leurs canulars et leurs défilés dans les rues, les scandales se succédant jusqu'en pleine Belle Époque.
Le document représente sans doute le cours de Monsieur Bouguereau rue du Dragon, l'ambiance est bon enfant et les "rapins" ont pris la pose pour la photo-souvenir dans un coin de l'atelier, vers les portes-manteaux et la galerie de portraits. Le modèle, la seule femme de l'assemblée, est souriante et bien entourée, elle paraît nullement gênée par sa nudité et tient familièrement un étudiant par le cou avec la main posée sur la tête d'un autre. Une énigme, le jeune garçon sur la gauche en uniforme ? A noter aussi : le seau à charbon pas loin du tuyau de poêle et de l'estrade où pose habituellement le modèle.
L'Académie Julian sera fermée pendant la Seconde Guerre mondiale et deux de ses ateliers vendus en 1946.
L'atelier de la rue Vivienne réservé aux femmes se situe au premier étage. C'est l'épouse de Rodolphe Julian, Amélie Beaury-Saurel qui en avait pris la direction. Les tarifs pour les femmes étaient le double de celui des hommes au rez-de chaussée.
En 1850, les modèles sont alors couramment payés un franc de l'heure, c'est-à-dire environ trois euros d'aujourd'hui. Vers 1875, la pose ordinaire de quatre heures coûtera environ cinq francs pour les artistes mais seulement trois pour les écoles d'art, à la condition toutefois qu'elles emploient le modèle régulièrement. La photographie, en passe de se démocratiser, commencera ensuite à concurrencer sérieusement les modèles vivants dans certains ateliers privés.
Une autre enquête datée de 1901 recense entre 800 et 850 modèles professionnels, très souvent d'origine italienne. Ils résident essentiellement dans les quartiers de Saint-Victor à Paris. Les femmes, de préférence avec des formes généreuses, sont alors payées cinq francs, 40 €uros actuels, pour une séance de quatre heures et les hommes, moins recherchés, quatre francs pour la même durée.
Selon l'expression d'alors, on ne trouve pas de cuisse de nymphe à moins de un franc de l'heure, alors qu'un Jupiter olympien peut se négocier autour de quinze sous, mais un modèle mâle pose à tout âge tandis que la beauté d'un modèle féminin est forcément éphémère. Les nobles vieillards à grandes barbes blanches restent toujours recherchés afin d' incarner quelques Dieux, alors que les femmes aux formes fluettes ou bien celles qui évoquent les rondeurs à la Rubens doivent nécessairement être assez jeunes.
Par ailleurs et pour la petite histoire, avant la séance de pose, il n'est semble-t-il pas rare de demander au modèle de bien vouloir faire un brin de toilette...
Sans doute Hébert posant dans l'atelier de David d'Angers. Afin d'aider le modèle à tenir la pose,
on notera le système de réglage de l'appui.
Auguste Clésinger créa la surprise en proposant au Salon de 1847 " La Femme piquée par un serpent". Cette sculpture très remarquée par l'abandon de la pose aux courbes avantageuses utilise la technique du moulage directement sur le modèle, ce qui renforce sans aucun doute son charme érotique au parfum de scandale.
Ce beau modèle, Joséphine-Apollinie Sabatier, fut entre-autre la maîtresse de l'artiste, de Baudelaire et d'un banquier. Théophile Gautier a vanté la beauté du marbre :
"Clésinger a résolu ce problème, de faire de la beauté sans mignardise, sans affectation, sans maniérisme, avec une tête et un corps de notre temps, où chacun peut reconnaître sa maîtresse si elle est belle".
L'homme n'est pas la femme ! Pour nombre d'entre eux, la regarder ou encore l'imaginer qui accomplit certains de ses gestes quotidiens, comme la toilette, constitue une sorte de délectation ; chez la femme cet aspect "voyeur" reste pour le moins inhabituel. Quand on évoque le sujet, on pense immédiatement à Edgar Degas avec ses multiples études dessinées, peintes, modelées ou encore photographiques. Mais, durant ce que l'histoire a appelé la Belle Époque et plus particulièrement pendant la première décennie du siècle dernier, une quantité impressionnante de peintures, évoquant de plus ou moins près la toilette, ont été exposées au Salon de Paris. Les tirages sous forme de carte postale, toujours sur le marché aujourd'hui, en constituent l'un des meilleurs témoignages.
Si l'artiste peut parfois effectivement être taxé du vocable peu glorieux de "voyeur", le modèle féminin qui est consentant et quel qu'en soit son motif pourra, dès lors, être fort logiquement qualifié d'impudique.
Entre femmes, la grande question mais aussi la grande injustice restera toujours celle du physique et de l'âge.
Avoir une plastique avantageuse constitue forcément un plus incontestable et le peintre ou le photographe académique dans le choix de son modèle ne fait que confirmer cette réalité. Heureusement, l'éventail du goût demeure large et nul besoin d'être un "top-modèle" pour plaire.
En 1839, le peintre Paul Delaroche découvrant les premiers daguerréotypes s'inquiéta sur la concurrence faite à la peinture. Quelque peu radical, il remarque : "A partir d'aujourd'hui, la peinture est morte..."
Effectivement, le portrait daguerréotypé, en particulier, est très rapidement prisé par la bourgeoisie qui le considère plus objectif et surtout meilleur marché et plus moderne que son homologue peint.
Les premiers photographes seront souvent des peintres "reconvertis" qui appliqueront tout naturellement dans leurs compositions les règles académiques alors en vogue.
Quelques grands peintres académiques
Chez Guillaume Seignac le spécialiste du nu, la nymphe se mue prosaïquement en banal modèle vivant, dans un décor bourgeois à la mode de l'époque dont on retrouve les éléments dans plusieurs tableaux.
Cette nymphe, quand il faut, sait prendre la bonne pose - un peu provocante - pour faire vendre car il s'agit bien aussi de cela et, d'ailleurs, pourquoi le peintre en aurait-il honte ? Il faut bien vivre ! Le sujet semble certes léger mais il est néanmoins traité avec talent :
Guillaume Seignac
Georges-Antoine Rochegrosse n’a que vingt-quatre ans à peine lorsqu’il peint un immense tableau qu’il envoie au Salon de 1883. Il y obtient une médaille et sa peinture est achetée par l’État.
L'œuvre peut surprendre avec ses atrocités crues et morbides très détaillées : têtes coupées, traînées de sang, morts étendus à terre ou suspendus à la muraille - avec, en même temps, un érotisme avoué qui nous montre la belle poitrine blanche d’Andromaque ainsi qu'une jeune femme nue étendue au premier plan.
La force de cette peinture réside dans le réalisme extrême des détails : les éléments archéologiques sont rendus ici de façon convaincante, de la croix gammée peinte, symbole de la Grèce ancienne, aux costumes des guerriers en passant par les murailles de la ville de Troie. Il faut savoir que l'époque redécouvre l'antiquité, les recherches archéologiques sont alors suivies par un large public. L'artiste a probablement aussi peint la figure d’Andromaque en s'inspirant de Marie Leblond, sa femme et sa muse, dont la beauté était admirée du tout Paris :
Georges Rochegrosse
Jules Lefebvre : Est-elle vraiment candide la si justement nommée "Cigale" ? Le modèle est jeune, peut-être seize ans, guère plus. Il est remarquablement beau avec ses longs cheveux bruns et son port gracieux ; délicat sans aucun doute ce corps élancé à l'os iliaque marqué - c'est-à-dire au bassin et hanches de femme. Cependant, l'adolescente ne paraît pas encore tout à fait femme, à moins que ce ne soit la représentation de ce que d'aucuns appelleront une femme-enfant. Dans le genre, le peintre excelle il rivalise même avec William Bouguereau l'autre spécialiste du nu.
A Tournan-en-Brie, le 14 mars 1834 est né Jules, Joseph Lefebvre, de Toussaint, Martin Lefebvre, boulanger âgé de 29 ans et de Caroline, Adélaïde, Joséphine Duval, son épouse âgée de 28 ans.
La famille s'installe à Amiens où le jeune Lefebvre, remarqué pour ses dons artistiques, obtient une bourse annuelle de 1.000 F pour continuer ses études. Il entre en 1852 à l'école des Beaux-Arts.
Il participe au premier Salon de Paris dès 1855. Il concourt ensuite pour le Prix de Rome qui vaut à son gagnant cinq années d'étude à Rome et une réputation lui garantissant une belle carrière. Il obtient le Grand Prix de Rome en 1861 pour son tableau "la mort de Priam".
En 1870, il devient professeur à L'Académie Julian, un atelier qui forma aussi des artistes femmes bien avant que celles-ci ne soient autorisées à suivre les cours de l'école des Beaux Arts. Là, il est dit qu'il insistait particulièrement auprès de ses étudiants sur la précision absolue du dessin. Il devint l'un des professeurs préférés des Américains venus étudier à Paris. Parmi ses nombreux élèves, des américains bien sûr tels que Childe Hassam, Frank Benson, Edmund Charles Tarbell, mais aussi Georges Rochegrosse, le sculpteur français Paul Landowski ou le peintre belge Fernand Khnopff.
Grand Prix de l'exposition universelle de 1889, il devient membre de l'Académie des Beaux-Arts et est élevé au grade de Commandeur de la Légion d'Honneur en 1898.
Jules Lefebvre est décédé à Paris le 25 février 1912 à 78 ans.
John William Godward : Il fait partie des peintres académiques de la mouvance inspirée par le modèle Gréco-Romain, qui s'est épanoui du milieu du XIXème au début du XXème siècle. Son talent est comparable, à maints égards, à celui de ses contemporains britanniques Alma-Tadema et Leighton.
On connaît peu de chose sur la vie privée de ce peintre effacé. Une vie qui devait se terminer tragiquement, dans le secret que lui-même et sa famille tinrent à conserver sur les causes exactes de son suicide par le gaz, le mercredi 13 décembre 1922. La vie de John William Godward reste un mystère, un véritable livre censuré, scellé et protégé par sa famille.
Les peintures d'Emile Vernon sont pour le moins éloignées de l'art contemporain, de l'expressionnisme allemand et, bien sûr, on pourra toujours prétendre que ses images sont mièvres, à l'eau de roses et sans grande signification mais il n'empêche ; elles sont fraîches, agréables à regarder, elles sont tout simplement 1900. D'ailleurs, à bien y réfléchir, pourquoi cette production serait-elle plus ridicule, moins honnête et de moindre valeur que les oeuvres d'aujourd'hui ? Un peintre académique :
Emile Vernon
Pour en savoir plus :