Les ateliers d’artistes ont beaucoup proliféré dans l’Europe du XIXe siècle, en réponse à l’augmentation importante de cette catégorie sociale et professionnelle. Autrefois réservé à une élite intellectuelle, le statut de l’artiste s’est démocratisé et s’est progressivement confondu avec les arts décoratifs et les arts graphiques tels que la lithographie. Dans les années 1860, Paris comptait ainsi plusieurs milliers de peintres jouissant d’une certaine notoriété. Des locaux réservés aux artistes fleurirent à cette époque dans les quartiers neufs tels que la Nouvelle Athènes, en complément des logements occupés par les peintres officiels et académiques dans le cœur de la capitale. On voit aussi se multiplier à cette époque des cités d’artistes où se recréent des espaces communautaires, proche de l’esprit de la bohême. Pour tous ces artistes, l’atelier représentait l’espace de la gestation des œuvres. Lieu réel, il est aussi celui dans lequel se construit l’identité fantasmée de l’artiste, philanthrope et prométhéen. Enfin, l’atelier est l’espace de la sociabilité artistique. Sa fréquentation, généralement ouverte aux intimes, aux élèves et aux amateurs, était l’occasion des rencontres et des débats esthétiques entre les peintres et les sculpteurs. Il pouvait également servir de lieu d’exposition privé, avant l’envoi des œuvres au Salon et dans les grandes manifestations de groupe. Autour de l’artiste - ici Mucha - maître des lieux, tout un cénacle se regroupe pour admirer, discuter ou apprendre.
Ces images insistent sur la dimension sociale de l’atelier de l’artiste comme espace de réunion, de discussion, de mise en perspective de l’activité picturale. Elles permettent de dresser un parallèle intéressant entre l’histoire de l’art et l’histoire socioculturelle. Nous y voyions que la création artistique n’est pas totalement indépendante du microcosme social, économique et culturel de son temps. L’artiste a besoin d’un entourage et d’un public pour mettre en perspective, discuter et recevoir ce qu’il crée. L’atelier est ce lieu dans lequel sont reçus les élèves, les admirateurs voire les collectionneurs. Fortement symbolique, l’atelier est l’espace de l’émergence physique de l’œuvre d’art, celui où elle est pensée puis exécutée par le peintre ou le sculpteur. Il précède par exemple le Salon ou le musée, qui sont des lieux d’exposition et de conservation. Lieu du discours sur l’art, du partage des techniques et des opinions, lieu de divertissement des sens, l’atelier est un carrefour dans le monde des artistes. Ce thème si fréquent dans la peinture du XIXe siècle apparaît donc comme un révélateur de la dimension à la fois esthétique et sociologique de l’œuvre d’art. Il participe à l’ancrage de la figure de l’artiste, autant que le Salon de peinture et que les institutions officielles lui donne une place dans le paysage historique et social de son temps.
La formation académique de l’artiste
Depuis l’antiquité, la connaissance du corps humain a représenté la base de l’apprentissage du métier d’artiste. Dans les académies modernes, elle était enseignée de plusieurs façons, à la fois par des cours théoriques et des leçons pratiques. Celles-ci étaient de deux sortes : d’après les sculptures antiques, présentant le nu idéalisé, puis d’après le modèle vivant. Les documents réunis ici révèlent cette part essentielle du dessin d’après le modèle en chair et en os dans des ateliers du début à la fin du XIXe siècle. Que ce soit dans l’atelier d’un maître prestigieux comme Jacques Louis David au Collège des Quatre Nations, ou dans les classes de l’Académie Julian fondée en 1873, l’étude du nu masculin et féminin représentait l’un des exercices fondamentaux de l’apprentissage des peintres et des sculpteurs. Longtemps, cette connaissance a été réservée à un public masculin. Les femmes n’ont pu faire que leur apparition officielle sur les bancs des ateliers des Beaux-Arts qu’à partir de 1897, tandis qu’elles étaient déjà reçues dans les écoles libres telles que l’Académie Julian. Les modèles employés pour ces exercices étaient des professionnels, souvent d’origine étrangère comme le jeune polonais qu’employait David. Le professeur désignait la pose qui était conservée pendant plusieurs semaines et faisait l’objet d’une correction générale par le maître.
Auteur : Claire MAINGON
Mucha pratiquait la photographie et tirait lui-même la plupart du temps ses épreuves