L'art contemporain ne possède ni histoire, ni public, ni réel prix ou valeur.
"L'art contemporain et ses institutions"
Synthèse de P. GIRY LATERRIERE (1996)
du Ministère J. TOUBON
ANALYSE :
Une seule idée maîtresse est développée : ne pas privilégier exclusivement un art conceptuel et minimaliste, mais rééquilibrer la mise en valeur d'autres formes artistiques dites plus classiques et rétablir un rapport plus intime entre l'oeuvre et l'amateur. Il ne s'agit pas de nier l'originalité au profit d'un académisme pur, mais simplement d'adopter un point de vue intermédiaire qui prenne en compte originalité, lisibilité de l'oeuvre et impact émotionnel.
Le rôle de l'Etat doit dans ce cas devenir plus impartial et soutenir TOUTES les formes de créations, des plus novatrices aux plus classiques.
AVIS :
Idée intéressante qui a le mérite de mettre l'accent sur des dysfonctionnements dans le domaine des arts plastiques. L'idée est forte, et on ne peut s'empêcher d'adhérer à quelques points de vue contestataires qui soulignent des aberrations (ex : l'engouement pour des "oeuvres" où l'on ignore si elles résultent du génie de la création ou du pur hasard...). Dans cet esprit, les propos s'inscrivent parfaitement dans le débat actuel sur l'art contemporain. Cela se lit très facilement.
On peut regretter qu'une seule idée soit développée (à partir de critiques plurielles). L'auteur se contente de dénoncer des faits et de souhaiter un soutien à l'art classique, sans accompagner son idée de propositions concrètes, et pèche un peu par une vision passéiste.
Il semble délicat de soutenir de tels propos sans marquer une opinion trop catégorique, qui attaque de plein fouet les institutions.
1/ Le constat / Les reproches :
a) Expositions :
Similitude entre toutes les expositions des centres d'art contemporain : oeuvres toutes faites, précaires, ne cachant pas parfois leur refus de plaire... Les nouveaux moyens mis en oeuvre prennent la vedette (installations, mises en scène, performances, happenings...) au détriment des moyens anciens (dessin, peinture, sculpture). (p.5) Il devient difficile de savoir si certaines oeuvres sont le fruit d'un travail ou le fruit du hasard (ex: les pierres disposées en spirale de Richard Long)(ex : lire la description d'une exposition au centre d'art de Pougues p.16 : amusant et éloquent...). C'est l'originalité qui seule prime.
b) Photographie :
La vulgarisation de la photographie accentue la mise à l'écart de la peinture figurative, car la photo est aussi dans le " signifiant " avec l'avantage supplémentaire d'être presque parfaite. (p.6)(p.24)
c) Public :
La fréquentation du public est très modeste dans les centres d'art contemporain. Ex : 800 visiteurs par an au Magasin de Grenoble. Seule exception : la FIAC. De plus, on ignore si le peu d'amateurs d'art conceptuel le sont par goût, par conviction ou simplement pour être à la mode ? Ceci plaide en la faveur de la redécouverte d'une peinture qui satisfasse le spectateur en formes, couleurs, images... Or le faible intérêt du public n'empêche pas les artistes conceptuels de toucher leurs subventions et les pouvoirs publics de ne s'intéresser qu'à eux.
d) Réseaux :
Le système de reconnaissance des artistes s'appuie sur le " réseau ", c'est-à-dire les décideurs qui font et défont la cote d'un artiste sur le marché : une poignée de marchands, galeristes, conservateurs et fonctionnaires des affaires culturelles. Ils déterminent entre eux une valeur consensuelle et l'imposent à tous. En parallèle se constitue un deuxième réseau, à caractère commercial plus modeste, absent des institutions officielles. Dans le premier réseau, qui se dit " noble ", l'art est une affaire d'influence ; dans le second, l'art est une affaire purement commerciale.
e) Commandes :
Aujourd'hui, la commande publique est essentiellement gérée par les DRAC. Quant au choix de l'artiste, il n'y a pas de concours. Ainsi, 75% des oeuvres de commande publique sont des " installations ", confiées à des artistes déjà reconnus (Boltanski, Takis, Le Gac...).(p.12) Même lorsqu'un élu siège au conseil d'administration d'une Frac, il entérine la plupart du temps les choix arbitraires de celui-ci, croyant ainsi prouver son ouverture d'esprit et son modernisme. La légitimité des institutions s'en trouve compromise car le Ministère de la Culture ne remplit plus sa fonction de faire découvrir au plus grand nombre la diversité des courants artistiques.
2/ La proposition / Les souhaits :
En France, le Ministère de la culture et les institutions ont pris le parti de ne soutenir activement (grosses commandes publiques, expositions...) que l'art conceptuel et minimaliste, On pourrait adopter le contraire en disant que l'artiste contemporain "classique" a le droit de privilégier la forme et le signifiant. L'auteur affirme qu'une réhabilitation de la peinture pouvant utiliser des moyens conventionnels semble nécessaire et peut se justifier.
L'idéal serait de revenir à l'adoption du génie artistique d'après Kant : le génie en art ne peut être ni celui qui imite, ni celui qui s'affranchit de toute règle, mais celui qui va innover et inventer de nouvelles règles. Pour créer le sublime, l'artiste doit commencer par se plier à des exigences sans pour autant s'y perdre, puis les dépasser. La notion d'esthétique est bien sûr tributaire d'un temps donné (modes), d'un lieu donné, de personnes... et donc très subjective. Elle n'en demeure pas moins utile car elle forge les jugements de goût. Conclusion : pour Kant, "le génie est un combiné d'inné et d'acquis, de nature et de culture".
Après avoir contesté la légitimité des institutions, l'auteur envisage " la dissolution pure et simple de ces associations et par voie de conséquence la disparition des Frac" (p.l3). Le rôle du Ministère de la culture (et surtout son encouragement à la création), aussi louable soit-il, conduit invariablement à la promotion d'un art officiel, ce qui ne devrait pas être ". Nombreux sont ceux qui lui préfèrent un modèle anglo-saxon peu interventionniste.(p.34). L'auteur met en avant les conclusions de Gabrielle Boyon (p.32) issues de son rapport sur l'avenir des Frac qui confirment le système de réseau.
L'auteur rappelle enfin les grandes étapes de l'histoire de la peinture " classique " pour montrer qu'elle est digne d'intérêt et ne nuit pas à l'évolution : la peinture hollandaise du XVIIeme siècle tournée vers la vie quotidienne (Hals, Rembrandt, Vermeer), le mouvement romantique du XIXeme siècle entre rêve et réalité (Turner, Goya), la sensation visuelle et colorée mise en exergue par le mouvement impressionniste, la redéfinition de l'espace des cubistes...Tous ces mouvements, incontestables, (le succès des grandes expositions sur ces peintres le prouve) démontrent que la valeur artistique résidait bien dans un équilibre subtil entre innovation et supports conventionnels...
https://web.archive.org/web/20231002150621fw_/https://verat.pagesperso-orange.fr/polemic.htm