samedi 3 août 2024

Jean-Léon Gérôme

Vesoul 1824 - Paris 1904 - Jean-Léon Gérôme - Harem Pool
A Bath, Women Bathing Her Feet - A Moorish Bath


Algérie, Maroc, Tunisie, sans oublier l'Egypte ou la Turquie, scènes réelles ou rêvées, qui ont longtemps été une source d'inspiration : Jean-Léon Gérôme reste le maître des peintres orientalistes avec notamment sa Grande Piscine à Brousse (1885 - 51 X 76), adjugée en juin 2004 à Londres, chez Sotheby's, pour 2,5 millions d'euros. Le peintre - comme bien de ses homologues masculins sans doute - apprécie la partie charnue du fort à propos nommé "beau sexe". Dans la Grande Piscine, les baigneuses paraissent tranquilles et nonchalantes, toutes sont jeunes et jolies, celles du bassin regardent en commentant probablement le gracieux déhanché de la belle femme, perchée sur ses sabots de bain incrustés de nacre et d'argent, et accompagnée de sa "négresse".
Quelques années plus tard, son jeune contemporain Picasso, sous prétexte d'innovation et qui aurait voulu s’opposer à l’idéal esthétique d'Ingres, donnera quant à lui avec ses Demoiselles d'Avignon, des prostituées, une interprétation bien différente et guère avantageuse des femmes.

Après la visite de Gérôme à Istanbul, en 1875, et durant une dizaine d’années, ce pays va lui inspirer de nombreux tableaux. Il montre un intérêt particulier pour la ville de Brousse où il visite les bains de Sinan dont il dessine l’intérieur pour sa Grande Piscine : « comme la température était extrêmement élevée, je n’hésitais pas à me mettre complètement nu ; assis sur mon trépied, ma boîte de couleurs sur les genoux et ma palette à la main, j’étais un peu grotesque… ».
La Grande Piscine de Brousse est un exemple de peinture constituée à partir de souvenirs, de croquis et, vraisemblablement, de photographies. Des nudités blanches et noires prennent des poses variées sous la grande coupole des bains du XVIème siècle, attribuée à l’architecte Sinan. Cette œuvre fait partie d'une longue série de scènes de bains. Des esquisses montrent la méthode de travail de l'artiste. Après avoir fait un plan grossier et dessiné la salle en perspective avec un point de fuite central, Gérôme divise l’œuvre en portions et travaille les différentes scènes. Le même dessin de fond se retrouve sur plusieurs compositions, mais avec un arrangement des figures différent.


Mais que fait Emma, le modèle préféré et familier de Gérôme, perchée sur la sellette ? Et cette petite fleur rouge ?
- Enlève-t-elle, dès la fin de la pose, le drap par curiosité jalouse et critique ?
- Couvre-t-elle simplement, avant de se rhabiller, la statue afin d’empêcher la terre à modeler de sécher ?
Là, repose toute l’ambiguïté dans l’interprétation de l’œuvre. Cependant, gageons que le facétieux artiste, qui se représente en train de nettoyer son matériel, n’a pas manqué d’entrevoir les deux possibilités.
En outre, l’œuvre peut paraître emblématique de l’art académique et pompier, dans la mesure où elle donne directement à voir, à imaginer, à rêver… Au contraire d’un art moderne bien plus décoratif que narratif et, très souvent, sans signification précise.

Gérald Ackerman recense environ 600 peintures de Gérôme dont près des deux tiers ont pour cadre l'Orient que l'artiste connaissait par ailleurs bien pour y avoir effectué plusieurs séjours.
Entre 1859 et 1914, les registres de la Galerie Goupil et Cie, Éditeurs, 2 place de l'Opéra à Paris, mentionnent quelque 430 numéros d'entrée pour les peintures de Gérôme. Tout comme elle le fait pour les oeuvres de Bouguereau, la Maison Goupil acquiert directement la grande majorité des tableaux de Gérôme, dans la plupart des cas les bénéfices sont partagés. Dans les années 1870 une toile d'un format moyen se négocie entre 9 et 15 000 francs (27 440 € à 45 734 € actuels) et ces prix se maintiendront du vivant du peintre.
Les collectionneurs, en majorité américains et britanniques, achètent leurs tableaux par l'intermédiaire des succursales qui s'ouvrent à Bruxelles, Londres, La Haye, Berlin, Vienne, New york et auprès de marchands locaux qui se fournissent aussi chez Goupil.


Dans un climat de spéculation, amateurs hollandais, anglais, et surtout américains, verseront des sommes considérables pour acquérir les productions "aimables" caractéristiques de l'art pompier. Sujets "italiens", allégories antiques, scènes de bonheur familial et thèmes agrestes assurent son succès.
En 1866, Bouguereau à l'instar de Gérôme - gendre d'Adolphe Goupil - signe un contrat exclusif avec la Maison Goupil à qui il livre jusqu'en 1887 une douzaine de tableaux par an, dont s'inspirent de nombreux graveurs. Goupil incite ce peintre de la Femme à exécuter des figures grandeur nature : l'extraordinaire modelé des chairs et la précision quasi photographique de l'espace dans lequel elles se meuvent consacrent l'artiste. Durand-Ruel conserve l'exclusivité de la vente des reproductions photographiques ; celles-ci, posées sur un guéridon ou accrochées au mur, font partie des objets familiers d'un intérieur.
cf/ http://www.culture.gouv.fr/GOUPIL/FILES/AUTOUR.html




Le Peintre et Sculpteur Jean-Léon Gérôme dans son atelier avec son modèle Emma Dupont
et la statue Omphale, Photographies de Louis Bonnard, 1887.
Parmi les cinq photographies prises par Bonnard, deux renvoient vers « La fin de la pose ».

Jean-Léon Gérôme dans son atelier-hôtel particulier - 6 rue de Bruxelles - près de la place de Clichy, Omphale la statue, réalisée un peu plus grande que nature, présentée lors du Salon 1887 avec Emma qui servit de référence.
Emma Dupont, le modèle favori de l’artiste, dont on retrouve l'anatomie caractéristique dans les poses nonchalantes et variées des baigneuses du harem.
La jeune femme portait les cheveux pris sur le dessus de la tête, leurs donnant ainsi l'impression d'être coupés courts ce qui à l'époque était peu fréquent, ses hanches caractéristiques et très féminines, d'ailleurs encore davantage présentées de dos où le modèle devient alors vraiment callipyge, auraient également inspiré le grand sculpteur James Pradier. Emma, modèle plus ou moins professionnel, aurait aussi pris la pose pour Louis Bonnard, photographe de son état ; il est donc permis de penser que ce dernier serait l'auteur des présents clichés - six différents - avec un souci bien ordonné de mise en scène de l’artiste, de l'oeuvre sculptée, mais aussi du modèle qui rappelle l'attitude de la sculpture.


Nu sur sa toile d'origine avec griffures, 30,5 x 45 cm - Collection Emma Dupont
Resté dans la famille par descendance.
Lot was proposed at the auction by Tajan le 14/12/2011

Le tableau provient de la même collection que les deux tableaux signés de Gérôme représentant Lionne et lionceau dans un paysage (toile, 22 x 32 cm) et Un lion sur un rocher dominant une vallée (17 x 33 cm), ayant figuré à la vente anonyme, Tajan - Paris, 22 juin 2006, n° 72 et 73.

Ce tableau-étude est à mettre en relation avec le "Bassin du Harem" (toile, 73,5 x 62 cm), exposé au Salon de 1876, n° 884, acquis par le tzar Alexandre III et actuellement conservé au musée de l'Ermitage à Saint-Pétersbourg.
On retrouve dans cette représentation la figure qui a sans doute servi d'étude pour la grande composition. Le tableau représente Emma Dupont, modèle et maîtresse du peintre, qui a notamment posé pour son Omphale (Modèles d'Artistes par Paul Dollfus - Paris, 1890, p. 100). L'Omphale, en plâtre, aujourd'hui perdue et anciennement conservée à Vesoul au musée Garret est connue par un tableau dans lequel Gérôme se représente dans son atelier en 1886 : "La Fin de Séance" (toile, 45 x 40,6 cm) conservé à Santa Ana, Frankel Family. Emma Dupont apparait dans une autre composition en compagnie du peintre : Le Travail du Marbre (toile, 50,5 x 39,5 cm) conservé à Greenwich, Dahesh Museum. C'est probablement encore elle que l'on retrouve dans Pygmalion et Galatée (toile, 88,9 x 68,6 cm) conservé à New-York, au Metropolitan Museum, peinture dont on remarque la gravure sur le mur au fond de "Le travail du marbre". La série de photographies qui représente Emma reprenant la pose d’Omphale en train de se faire dans l'atelier de L’artiste confirme le lien d’intimité entre Gérôme, son modèle et ses œuvres.


Corinth, plâtre polychrome reprenant la pose de la baigneuse
Bassin typique à la Gérôme - Musée des Ursulines de Vesoul.


Musée Georges Garret - 1, rue des Ursulines - Vesoul
Depuis son transfert en 1981 au couvent des Ursulines, le musée Garret présente un ensemble unique de peintures, sculptures et dessins de l'artiste académique Jean-Léon Gérôme.
Jean-Léon Gérôme étudie jusqu'à 16 ans au collège de Vesoul puis il quitte le domicile familial pour suivre à Paris l'enseignement de Paul Delaroche puis de Charles Gleyre. L'Antiquité et la mythologie constituent d'abord ses thèmes favoris. Devenu professeur, parmi les quelque 2 000 élèves qui fréquentèrent son atelier à l'Ecole des Beaux-Arts de Paris, de nombreux peintres étaient originaires de la Haute-Saône ou y résidaient. Jules-Alexis Muenier, René-Xavier Prinet, Gustave Courtois, Auguste Girardot, et surtout P.A.J. Dagnan-Bouveret sont largement représentés au musée de Vesoul.

Jean-Léon Gérôme, Orientalism, born 11 May 1824 - died 1904
Student of : Paul Hippolyte Delaroche (1797-1856), Marc-Gabriel-Charles Gleyre (1808-1874)



Gérôme dans son atelier et ses élèves aux Beaux-Arts de Paris


Les vues de face puis de dos



Pygmalion et Galatée, vers 1890, 1886, Walters Art Gallery Baltimore

A un interlocuteur qui critiquait l'enseignement de l'Ecole des Beaux-Arts, Gérôme rétorqua avec malice qu'il est sans doute bien plus aisé d'être incendiaire que pompier. Gérôme en vieillissant devint le symbole de la réaction. Le triomphe de l'avant-garde qu'il avait combattue devait lui être fatal : il connut une éclipse de près d'un siècle, sort qu'il partagea d'ailleurs avec ses collègues de l'Institut. Son absence dans la plupart des dictionnaires, au contraire de la présence, incontournable, de Van Gogh ou encore Cézanne en constitue la preuve la plus probante.
On l'étiqueta rapidement de peintre officiel. Gérôme bénéficia pourtant d'un nombre réduit de commandes publiques et son œuvre reste très peu présente dans les musées français, à l'exception de celui de sa ville natale, Vesoul.
C'est notamment en ramenant les dimensions des tableaux historiques à celles des "tableaux de boudoirs", selon les termes de Zola, que Gérôme trouve sa voie. Il contribua ainsi à populariser la peinture considérée comme noble et à la rendre accessible à tout un public bourgeois qui va non seulement apprécier ses petites toiles au caractère historique mais aussi celles, plus exotiques et sensuelles, qui mettent en scène des nus. Aux yeux du public de cette fin du XIXème, le sujet reste primordial avant d'être "une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées", selon la définition annonciatrice de la peinture moderne de Maurice Denis.
Pour Gérôme, un tableau doit donc avant tout illustrer une idée et raconter une histoire. Aussi il attachera toujours un grand soin, tant aux choix de ses thèmes qu'aux rassemblements de la documentation afférente.
Les peintures de Gérôme, contre toute attente, sont actuellement de plus en plus recherchées, notamment par les riches collectionneurs américains, elles sont en conséquence parmi les plus chères du marché.




Ces deux toiles aux dimensions moyennes présentent le même spectacle étonnant, d'abord de face puis de dos : une jeune captive dénudée, au joli corps potelé de statuette de porcelaine, se cache pudiquement le visage. Les mains des Romains se lèvent dans l'espoir d'acquérir cette belle esclave proposée par un marchand ordinaire, alors que d'autres attendent, résignés, tristement leur sort.
Tableaux également chargés de bien des fantasmes masculins. En effet, avec la femme-esclave presque tous les interdits disparaissent, d'ailleurs soyons francs, quel est l'homme qui ne souhaiterait posséder une telle esclave - rien que pour son plaisir - et ne mérite-t-elle pas déjà la fessée ?
Tout comme François Boucher, l'académicien Gérôme aima représenter ses modèles de dos et la première version, exposée lors du Salon de 1884, participa à la renommée de son créateur mais c'est aussi contre ce genre d'oeuvre de salon que quelques uns de ses contemporains, artistes comme critiques, se sont battus.
Emile Zola, qui soutient avec détermination les recherches des impressionnistes dès leurs débuts, écrit au sujet du peintre :
"Non, Monsieur Gérôme, vous n'avez pas peint un tableau,... c'est une habile représentation, un thème traité avec plus ou moins d'ingéniosité, un produit à la mode... vous ne savez pas ce qu'est l'ardeur, l'élan tout-puissant qui s'empare des véritables artistes."


The Serpent Charmer 1880, oil on canvas
33.07 x 48.03 inches / 84 x 122 cm
Sterling and Francine Clark Art Institute, Williamstown, Massachusetts

Jean-Léon Gérôme - Harem Pool - A Bath, Women Bathing Her Feet - A Moorish Bath

Le nombre relativement important des scènes de "hammams" dans l'oeuvre de Gérôme, et dans celle de ses contemporains orientalistes, montre bien la fascination qu'exerce alors l'Orient.
Depuis l'expédition de Bonaparte en Égypte (1798), accompagnée d'artistes et de savants spécialement chargés d'étudier et de décrire le pays, les publications sur le sujet sont nombreuses. Les photographies ne sont pas rares et le premier livre ainsi illustré en France paraît en 1852 : " L'Égypte, la Syrie et la Palestine" par Maxime du Camp.
C'est à Londres, à l'abri des événements de la Commune, que Gérôme débute sa série consacrée aux "hammams". Trois ans après le décès d'Ingres, il s'inscrit donc dans la suite du "Bain turc" et de "La Grande Odalisque". Cependant, contrairement au maître de Montauban qui n'avait jamais voyagé, Gérôme propose une vision orientale authentique, constatée de visu, mais seulement pour l'architecture et les accessoires.
En effet, l'usage des bains n'est pas mixte et les scènes de "hammams", aux nombreux nus féminins, ne peuvent être que des reconstitutions d'atelier. Gérôme transgresse par ailleurs un interdit de l'Occident puritain où la nudité reste plus ou moins tabou, ce qui renforce sans aucun doute le pouvoir évocateur et l'attrait érotique de la série.



On fumait couramment dans les harems et les hammams. Les cigarettes étaient devenues dans les années 1870 d’un usage général, mais le narguilé était également apprécié. « Rien n’est plus favorable aux poétiques rêveries que d’aspirer à petites gorgées, sur les coussins d’un divan, cette fumée odorante rafraîchie par l’eau qu’elle traverse… ». Théophile Gautier.
Le « chibouk » était aussi très prisé. Les conduits de ces pipes, d’une longueur extravagante, étaient recouverts de soie de telle sorte qu’ils restaient froids.
L’usage des narcotiques comme le haschich était très fréquent en Orient. Les voyageurs occidentaux comme Eugène Fromentin et Gérard de Nerval ont été frappés par cette coutume et Gautier lui-même appartenait au club « des haschischins », dont les membres se réunissaient régulièrement à l’hôtel Pimodan à Paris.



Peintres et écrivains européens ont donné du harem une image quelque peu éloignée de la réalité. Loin d’avoir été une prison pour femmes lascives, affirment plusieurs auteurs turcs et arabes, il s’agissait plutôt d’une institution éducative.
Dans l’Empire ottoman, le terme de harem s’appliquait avant tout à la famille du souverain. Le code de conduite imposé à l’intérieur du harem était tellement strict que même le souverain ne pouvait y agir à sa guise. Des règles très précises régissaient le fonctionnement de cette institution, le recrutement des courtisanes et leur éducation. Chaque femme recevait un enseignement dans la discipline pour laquelle elle manifestait le plus de talent : calligraphie, arts décoratifs, musique, langues étrangères, etc. Et il n’y avait aucune limite d’âge. Les femmes de 60 ans pouvaient y résider aussi bien que des jeunes filles. Et, contrairement aux préjugés, ces courtisanes n’étaient nullement écartées de la vie sociale et politique. Les plus intelligentes sont même parvenues à diriger l’Etat en se hissant au rang de reine-mère. Des personnages célèbres, comme la sultane Roxelane (1505-1558, épouse préférée de Soliman le Magnifique), ont ainsi fait leur apprentissage au sein du harem.

Contrairement aux orientalistes qui représentent le harem, à l'image des bains, comme un lieu plein de corps dénudés, les historiens turcs le décrivent plutôt comme une école de femmes. “Le plus important, explique l’historien Ilbay Ortayli, c’était de donner aux femmes une éducation de qualité et de s’assurer qu’elles pussent conclure un bon mariage, notamment avec des hauts fonctionnaires.”
Seuls, les gens très riches pouvaient se permettre d’avoir un harem, qui fonctionnait d’ailleurs comme une entreprise familiale. Des jeunes filles y tissaient des tapis ou filaient des tissus contre rémunérations.
Les peintres orientalistes ont dépeint ce qu’ils imaginaient être des harems et les historiens turcs les critiquent pour avoir fait ces descriptions sans même, pour la plupart d’entre eux, ne jamais avoir mis les pieds en Orient. Quant à ceux qui y sont allés, ils n’ont évidemment jamais pu pénétrer dans un harem ou dans un bain turc, exclusivement réservés aux femmes, et ils se sont donc contentés d’en imaginer la scène. Delacroix, Ingres, Gérôme ou Picasso ont peint des femmes qui n’étaient que le fruit de leurs fantasmes, explique Fatima Mernissi, une essayiste marocaine qui a publié un livre sur ce thème, Le Harem et l’Occident (Albin Michel, 2001). "Dans leurs tableaux, la femme est représentée comme une créature sensuelle et docile, aux lignes avantageuses et qui n’a d'autre soucis que de plaire."
Fatima Mernissi rappelle que l’expression la plus frappante de cette conception occidentale de la femme se trouve chez le philosophe des Lumières Emmanuel Kant. Celui-ci décrit la féminité comme le synonyme de la beauté, alors qu’il relie l’homme à la notion de sublime. La femme qui sait trop perd de son attrait et, quand elle expose ses connaissances, elle détruit toute sa féminité. Conclusion : elle ne doit pas s’occuper de mathématiques, d’histoire ou de géographie ; elle doit juste avoir assez de connaissances pour pouvoir participer à une conversation et lorsqu'elle affiche un air candide elle paraît encore plus belle !
Les pensionnaires des harems étaient des Géorgiennes, des Circassiennes, des Arméniennes ou, très rarement des Européennes. La beauté des Géorgiennes était proverbiale. Elles étaient hautement prisées pour la finesse de leur taille, leurs longues jambes bien tournées, leurs yeux et leurs cheveux magnifiques. Certaines, comme les Circassiennes, désireuses d'échapper à leur pauvre vie de paysannes préféraient encore appartenir au sérail pour, qui sait, devenir l'épouse d'un pacha.
Les filles passaient parfois par l'intermédiaire de marchands qui, après les avoir soigneusement formées, les revendaient avantageusement. La "marchandise humaine" était installée et présentée dans de grands "okels" ou caravansérails du Caire où on allait acheter son esclave presque de la même façon que n'importe quelle autre marchandise de luxe. Cependant les marchés d'esclaves restaient peu nombreux : Alexandrie et Le Caire servaient de dépôts principaux au reste du monde oriental.
En dépit d'une loi promulguée notamment par le gouvernement turc par déférence envers l'opinion occidentale, le commerce des esclaves ne fut aucunement ralenti, il se fit tout simplement plus discret.

Les tableaux orientalistes occidentaux montrent souvent des femmes aux poses lascives, proche de l'érotisme, et qui se concentrent généralement sur le corps et les attitudes, alors que les miniatures orientales sur le sujet représentent les femmes dans des scènes de chasse ou dans leurs diverses activités quotidiennes. Cependant, il n'en demeure pas moins vrai que la finalité de l'image du harem ou du hammam à refléter est bien différente mais tout aussi acceptable selon le cas : d'un côté une forme de rêve, de l'autre une réalité plus prosaïque.

Cf/ La Femme dans la peinture orientaliste, Lyne Thornton, ACR Edition, 1993



Gérôme dans son atelier. A remarquer la dimension réduite des tableaux sur les chevalets,
la profusion des objets, ainsi que le mobilier Henri II - Seconde Renaisance à la mode d'alors.

Paris - Espace Tajan, 11 mai 2005, vente de tableaux orientalistes
Les collectionneurs américains se sont passionnés pour la vente d'art orientaliste
et les tableaux de type "Harem".
Les Baigneuses de Gérôme ont été adjugées 393 554 €





"Il y avait bien là ce jour, aux hammams, 200 baigneuses. Les premiers sofas furent couverts de coussins et de riches tapis, et ces dames s'y placèrent, les esclaves les coiffèrent, toutes étaient dans l'état de nature, toutes nues. Cependant, il n'y avait parmi elles ni geste indécent, ni posture lascive, elles marchaient et se mettaient en mouvement avec cette grâce majestueuse !
Il y en avait plusieurs de bien faites, la peau d'une blancheur éclatante, et n'étaient parées que de leurs beaux cheveux séparés en tresses, qui tombaient sur les épaules et qui étaient parsemés de perles et de rubans : belles femmes nues dans différentes postures ; les unes jasant, les autres travaillant, celles-ci prenant du café ou du sorbet, quelques autres négligemment couchées sur leurs coussins. De jolies filles, de 16 à 18 ans, sont occupées à tresser les cheveux des baigneuses de mille manières... Après le repas on finit par donner le café ou les parfums, ce qui est une grande marque de considération ; alors, de cette manière, deux jeunes esclaves à genoux encensèrent pour ainsi dire mes cheveux..."

Extraits des lettres de Lady Montague - Mary Wortley Montagu (26 mai 1689 - 21 août 1762), épouse de l'ambassadeur de Grande-Bretagne en Turquie, publiées à Londres en 1764. Une source inestimable sur les femmes dans l'empire ottoman au XVIIIe siècle. En effet, en tant que femme, elle put avoir accès à des lieux interdits aux hommes : harems ou bains par exemple ; plus généralement, elle eut de véritables contacts avec les femmes ottomanes.


Le système pileux est généralement considéré comme inesthétique et peu féminin.
A Rome, le bain était suivi de l’épilation du corps, tout ou en partie ; les riches Romaines, à l’image des Athéniennes avant elles, avaient l’habitude de s’épiler entièrement, par mesure d’hygiène et de raffinement.
Cette pratique très ancienne de l’épilation participait d’un des canons de beauté les plus universellement répandu des sociétés humaines. Hommes et femmes pouvaient être concernés comme en Egypte. Les Egyptiennes utilisaient déjà la pince à épiler pour supprimer les cils avant de procéder au maquillage de l’œil.
Dans les thermes romains, l’alipilus était un esclave qualifié, chargé spécifiquement d’ôter les poils jugés disgracieux avec des pâtes composées de poix et de résines, il terminait le travail en passant patiemment une pierre ponce sur la peau.
Les femmes arabes s'épilent depuis la nuit des temps avec un mélange fait de sucre, de jus de citron et d’eau qui, après chauffage, donne une sorte de caramel malléable. De petits tapotements répétés ou l’application de minces bandes arrachées dans le sens inverse de la pousse du poil, permettaient une épilation efficace. L’épilation intime ajoutait une incontestable composante érotique et un passage incontournable pour la jeune femme à la veille de ses noces. Cette épilation pubienne, si fréquente en Orient, était très appréciée par les femmes de la noblesse. Les tableaux orientalistes de Gérôme deviennent ainsi très naturalistes, mais le peintre avait-il pour autant connaissance de cette coutume à la double fonction : hygiénique et érotique ?

Généralement, les socques de bois que l'on aperçoit au premier plan, étaient plus hauts chez les élégantes favorites que chez leurs servantes. Plus luxueux aussi, les plus coûteux étaient d'ébène, de bois de rose ou de santal, piqués de clous d'or et d'argent. Dans le harem royal, ces hauts sabots pouvaient même être incrustés de nacre et de pierres précieuses. D'origine sans doute vénitienne, ils étaient utiles dans les hammams pour protéger les pieds du sol de marbre chauffé et pour éviter - dans la mesure du possible - de glisser sur les surfaces humides. Rappelons que ces lieux : hammam et harem, restaient interdits aux hommes. Mis à part les femmes, seuls les très jeunes garçons pré-pubères ainsi que les eunuques y étaient admis.
Cf/ Femme à sa toilette, Anne-Marie Mommessin, Editions Altipresse 2007


Odalisque, huile sur toile 41 x 32,5 - 1903 - The Appleton Museum

La pose de cette baigneuse au narguilé est identique à celle de la sculpture "Corinthe" et témoigne de la polyvalence de Gérôme peintre-sculpteur.
Cette toile tardive, avec un modèle aux jolies formes, résume par ailleurs les innombrables baigneuses mauresques qui jalonnent la carrière du peintre depuis 1870.
A la même époque, les "Grandes baigneuses" de Cézanne, son cadet de quinze ans, explorent des voies expérimentales qui, selon la prémonition de Gérôme, mènent à la mort pure et simple de la peinture.








La fin de la pose

Nombreux sont les musées, en Amérique comme en Europe d'ailleurs, à avoir entreposé les œuvres du maître orientaliste dans de sombres remises. Certains musées ont même vendu lorsque l’enthousiasme pour l’abstraction sera alors à son apogée, dans les années 50-60, des œuvres de Gérôme à des prix très bas. Les choses ont désormais changé. Dans les années 70 on a commencé à prêter attention aux œuvres académiques et à celles, en particulier, de Jean-Léon Gérôme.

Gérôme est nommé professeur à l’école des Beaux-Arts de Paris après la réforme de 1863 et il y enseignera pendant presque 40 ans. Il était partisan d’un certain réalisme réformateur. Ses cours étaient efficaces et rigoureux, l'enseignant ne manquait pas de dévouement et d'énergie. Gérôme, généralement apprécié par ses élèves mais aussi parfois chahuté, donnait régulièrement ses cours de peinture et veillait tout spécialement à ce que tous ses étudiants prennent des leçons d’anatomie et de sculpture.
A la fin de sa vie Gérôme se radicalisa et devint quelque peu réactionnaire, il n’appréciait guère les impressionnistes et s’opposa ainsi au legs Caillebotte, ceci explique peut-être sa mise à l’index quelques années plus tard, et cela pour près d’un siècle.
Cf/ Jean-Léon Gérôme, Sa vie, son oeuvre, Gérald M. Ackerman, ACR Edition 1997


Travail du marbre ou L’artiste sculptant Tanagra, Gérôme, 1890
The Artist’s Model 1892, oil on canvas
19.88 x 14.49 inches / 50.5 x 36.8 cm - Dahesh Museum, New York


L’artiste et son modèle préféré Emma Dupont, Gérôme, 1894, Haggin Museum, Stockton



Autoportrait, resté inachevé, avec La joueuse de boules, Gérôme, 1904,
et La Vérité sortant du puits - Musée Georges Garret, Vesoul


Louis Bonnard 1832 - 1880, Atelier : 6 rue Mansard, Paris
Reçoit une commande de Jean-Léon Gérôme pour des reproductions de son œuvre
et des photographies de séances de pose avec modèle.





Marie-Christine Roux, 1855, Modèle et actrice née en 1835
elle périt dans un naufrage en 1863, Wilson Centre for Photography


Gérôme, Phryné dévoilée devant l’Aréopage 1861, Kunsthalle, Hambourg

Pour réaliser ce tableau, Gérôme avait commandé à Nadar un tirage de sa photographie de Marie-Christine Roux, un modèle connu à l'époque et que lui-même employait parfois. Malgré les idéalisations qui s’imposaient comme la suppression des poils, considérés comme indécents, le nu fut jugé scandaleux et participa ainsi à la réputation du tableau, deux ans avant le Déjeuner sur l’herbe de Manet.


Omphale
Gérôme, 1887, Musée Georges Garret, Vesoul

Au Salon de 1887, Gérôme reconnu comme sculpteur, transforme l’Hercule de Goltzius en une femme puissante, paradigme de l’inversion des sexes : en prenant possession de sa massue et de sa peau de lion, Omphale a transformé Hercule en esclave, tout juste bon à filer la laine.

Passer de la Peinture à la Sculpture était, au XIXème siècle, exceptionnel, paradoxal, et quasiment contre-nature, ainsi que le note avec emphase Jules Clarétie :
« Oui, cette même main qui maniait le blaireau avec tant de finesse allait, par grandes masses, pétrir la glaise, et, à côté de ses travaux nombreux et des plus intéressants, tous soignés et achevés, dans cette facture lisse qui fait songer parfois à la peinture à porcelaine, mais magistrale et toujours souveraine, Gérôme devait offrir au public des groupes admirables qui emportaient l’admiration. »
Matthias Krüger souligne le caractère radical de cette évolution, équivalente à une sorte de transition de sexe :
« Devant l’évidente autoréflexivité de la statue d’Omphale de Gérôme, on peut se demander si l’artiste faisait un parallèle entre le fait qu’il devienne sculpteur et qu’Omphale assume le rôle d’Hercule, entre le fait qu’il troque la brosse en blaireau contre le ciseau et qu’elle échange la quenouille contre le gourdin. Rappelons à ce point que Gérôme lui-même comparait le fini à « des travaux d’aiguille et broderie et travaux de dames ». Ainsi, les essais sculpturaux de Gérôme peuvent être interprétés comme une tentative de se dissocier de l’image d’un « blaireauteur ».

L'atelier Gérôme aux Beaux-Arts de Paris