Le Lavoir des Chavannes à Montceau-les-Mines, la plus grande installation
de lavage de charbon en Europe.
Avant, des femmes faisaient ce travail à la main. Construite sur 2800
pieux, cette cathédrale industrielle accueillait onze voies ferrées au sous-sol
et traitait quelque 800 tonnes/heures sur sept chaînes de lavage (selon le
principe de différence de densité entre le charbon et les parties stériles).
L’usine a été entièrement automatisée et active jusqu’en 1999, il n’y a pas si
longtemps. Aujourd’hui, c’est une ruine – classée, mais à l’abandon.
Le
lavoir des Chavannes, construit en 1923, sa fonction : le lavage du charbon.
Richard Pla, ancien ingénieur de Charbonnages de France, qui a d’ailleurs
travaillé sur le projet d’automatisation des machines qui s’est fait en 1989,
préfère parler de « préparation mécanique du charbon ». L’opération remplace le
tri manuel qui s’effectuait jusqu’au milieu du XIXe siècle. Ce lavoir central
était alimenté par tous les puits du bassin. Le charbon arrivait soit par
convoyeurs à bandes, soit par wagons. Il repartait ensuite par trains, par voies
terrestres ou par péniches. D’où une position idéale en bord de canal, près de
la gare et de la centrale thermique, alimentée par les schlamms récupérés lors
de la séparation densimétrique. « Lors du passage dans l’eau, le charbon flotte,
les schistes plongent et les mixtes récupérés pour la centrale, restent au
milieu. »
C’est le Département de prévention et sécurité minière qui est
chargé de la protection du lavoir des Chavannes. Une tâche pas toujours
aisée.
Ce qui est sûr, c’est que ça ne peut pas rester comme ça », affirme
Dominique Hehn, employé du Département de prévention et de sécurité minière
(DPSM), à propos du lavoir des Chavannes. Érosion du béton, rouille des
caillebotis, trous dans le sol qui s’élargissent petit à petit…
« Même si les
murs sont relativement sains, certaines parties sont soumises aux intempéries »,
précise Georges Vigneron, le directeur adjoint du DPSM. Il ajoute : « Ils ont
aussi beaucoup souffert d’avoir été soumis à l’eau et aux vibrations. » C’est
pourquoi il tire la sonnette d’alarme. « À force que des gens prennent le risque
d’y pénétrer, il y aura un jour un accident. »
Le site reçoit fréquemment de
la visite alors que l’accès est interdit. Il a d’ailleurs été pillé à de
nombreuses reprises. Que ce soit des énormes poids de métal jusqu’au cuivre des
installations électriques, énormément de matériaux ont été subtilisés. Si ces
actes ont diminué, les promeneurs sont encore nombreux.
Dominique Hehn vient
régulièrement à Montceau pour faire un état des lieux. Il fait entre autres le
tour des grillages de protection. « Il est arrivé qu’un véhicule passe au
travers. » Il rend à chaque fois compte des dégradations au DPSM qui se charge
des réparations. « C’est un budget de près de 40 000 euros par an. » Aux
protections habituelles, des panneaux “danger de mort” vont bientôt être ajoutés
afin de bien faire comprendre que le lieu n’est pas un terrain de
jeu.
Dominique Hehn doit également surveiller l’état des bâtiments. Il n’est
pas rare que lors de ses inspections, il découvre un nouveau graffiti. Ce
vendredi, il a même aperçu des pierres entourant un tas de cendres. Preuve que
certains ont fait un feu. Ce qui relève de l’inconscience, lorsque l’on sait que
tout l’environnement est imprégné par le charbon.
Autre risque non
négligeable pris par les squatteurs, celui d’avoir des ennuis avec la justice.
Georges Vigneron rappelle : « Il s’agit d’une propriété privée. En cas
d’effraction, nous déposons une main courante. » D’autre part, la police
montcellienne reste vigilante et intervient inopinément.
Le principal danger
à s’aventurer dans le lavoir reste celui lié à la friabilité des sols. L’édifice
s’élevant à plus d’une cinquantaine de mètres, sur des étages séparés de parfois
10 m, il est des endroits où une chute serait mortelle. Des plaques et des
objets métalliques, menacent aussi de se décrocher. Dominique Hehn garde
d’ailleurs toujours son casque vissé sur la tête. Et même s’il connaît chaque
recoin du lieu, il parcourt toujours les allées avec une extrême prudence, et
particulièrement au niveau de certains passages qu’il sait près de
s’effondrer.
Le 07/10/2013 à 05:00 | Thomas Borjon - JSL
Montceau
MONTCEAU-LES-MINES (Saône-et-Loire)
De notre envoyé
spécial
«Voilà le monstre ! » Georges Vigneron est chargé pour le Bureau de
recherche géologique et minière (BRGM) de veiller sur le lavoir à charbon des
Chavannes, situé à quelques encablures de Montceau-les-Mines. Laissé à l’abandon
depuis sa fermeture il y a quinze ans, le bâtiment fascine.
Le colosse fait
trente-cinq mètres de haut et occupe plus d’un hectare, explique l’ingénieur.
Après une longue série de projets de reconversion avortés, l’immense usine,
vestige de l’histoire du charbon dans la région, devrait bientôt être
détruite.
À sa mise en service en 1927, l’usine de tri du charbon est la plus
grande et la plus moderne d’Europe. Ses huit lignes de tri tournent 24 heures
sur 24 et permettent de calibrer 1 000 tonnes de brut par heure. Après la
séparation entre la houille et les déchets de schiste, le charbon est versé
directement dans des péniches ou des wagons garés sous le bâtiment, avant d’être
envoyé dans toute la France.
La dernière ligne de nettoyage et de triage du
charbon s’arrête le 26 novembre 1999. Les gisements de houille se sont taris. Le
bâtiment, géant de béton, de brique et de tôle, n’a plus de raison d’être.
Propriétaire des lieux, la compagnie des Charbonnages de France projette de le
détruire.
Les chevalets des mines aux alentours ont déjà tous été
démantelés, sans que cela suscite une grande émotion. «La mine était alors
associée aux difficultés du métier, aux accidents, raconte René Janniaud, ancien
mineur et cofondateur du Musée de la mine de Blanzy. À l’arrêt de
l’exploitation, les gens du coin ont simplement voulu tourner la page.»
À sa
fermeture, le lavoir est donc l’un des derniers témoignages de la riche histoire
de la mine, entamée en Bourgogne dès le XVIe siècle. Conscient de l’importance
de ce patrimoine, l’Écomusée du Creusot commande une étude sur la sauvegarde du
lieu.
Le lavoir des Chavannes est inscrit à l’inventaire supplémentaire des
monuments historiques en octobre 2000 en raison «de sa représentativité (…) en
particulier des procédés de traitement centralisés du charbon et donc de son
gigantisme».
Officiels et élus sortent enthousiastes des visites du lieu,
raconte Georges Vigneron. La vaste usine continue à fasciner, la personnalité du
lieu abandonné est marquante, le potentiel réel. Le bâtiment principal est
tellement vaste qu’il pourrait contenir l’une des abbayes cisterciennes
voisines.
Les machines, encore noires des poussières de charbon, sont
toujours graissées et semblent pouvoir être réactivées à tout moment. De fines
poutrelles de fer et des tapis roulants, certains encore chargés de charbon,
font le lien entre les quatre étages. « Jojo », « François », « Doudou » : les
noms inscrits à la craie sur les casiers des ouvriers recouverts de toiles
d’araignée sont toujours visibles.
Sur un établi, une petite Vierge de
Lourdes oubliée là prend la poussière. Mais pas de miracle pour le lavoir,
malgré l’intérêt des politiques et des historiens du patrimoine, aucun des
projets de reconversion n’aboutit. Faute de réelle volonté. Et surtout
d’argent.
Un premier projet d’ouverture au public voit le jour peu après la
fermeture. Les anciens ouvriers seraient mis à contribution pour faire visiter
le lieu, encore en bon état. Mais peu de touristes passent par cette partie de
la Bourgogne industrielle. Le projet est finalement abandonné en 2000.
Deux
ans plus tard, un cabinet néerlandais propose la végétalisation du lavoir. Un
parcours aux abords du mastodonte est prévu pour présenter au public le
fonctionnement de l’usine, qui serait laissée à l’abandon et détruite
progressivement par les effets du temps, à l’image d’une ruine antique. «Ce
principe de “friche contrôlée” est déjà appliqué avec succès dans la Ruhr»,
explique l’historienne Florence Hachez-Leroy. Mais au Creusot, les cinq millions
d’euros nécessaires à ces aménagements a minima ne seront jamais
débloqués.
Aujourd’hui, «c’est un désastre, le bâtiment a été vandalisé et
pillé, les carreaux des vitres sont cassés. Préserver le lavoir dans cet état,
c’est devenu illusoire», se désole René Janniaud. Après avoir résisté pendant
près de quatre-vingt-dix ans aux vibrations des tamis et aux poussières de
charbon, le lavoir des Chavannes se détériore.
La friche est devenue avec le
temps la cible des revendeurs de cuivre et de ferraille. Des tagueurs et des
aventuriers visitent aussi le site, malgré l’interdiction et le danger, réel, à
s’y balader. Des tôles du toit se sont envolées. Au milieu des machines, des
plantes poussent. Certains planchers pourrissent.
Le projet présenté par
Michaël Vottero, conservateur des monuments historiques, dans la revue
L’Archéologie industrielle en France, pourrait être le dernier. Il s’agit, après
avoir réalisé une étude documentaire et archéologique «la plus poussée
possible», de «déconstruire» le site. Une option qui reviendrait à
l’«euthanasier», estime l’historien Bernard André dans les pages de la même
revue. «L’expression de “friche contrôlée” signifiait qu’on ne ferait rien pour
empêcher une inexorable dégradation des lieux par le temps, juste un
accompagnement thérapeutique, écrit le spécialiste. Finalement, on précipite sa
fin par une euthanasie en bonne et due forme.»
ARCHÉOLOGIE INDUSTRIELLE
Faut-il, au même titre que la basilique
de Vézelay ou le château de Versailles, chercher à protéger de vieilles usines
et les inscrire à l’inventaire des monuments historiques ? C’est ce que pensent
la plupart des chercheurs du Cilac (Comité d’information et de liaison pour
l’archéologie, l’étude et la mise en valeur du patrimoine industriel), fondé en
1979.
Le Cilac est le co-organisateur d’un important congrès qui réunira les
spécialistes du monde entier à Lille du 6 au 11 septembre 2015. Le thème : «Le
patrimoine industriel au XXIe siècle, nouveaux défis».
CF/ Julien Duriez/ http://www.la-croix.com/Actualite
24/8/14 - 14 H 08