Le protocole de la Pose
L'artiste commence déjà par expliquer au modèle ce qu'il a l'intention de créer. Il présente le sujet historique ou mythologique ou son idée purement plastique. Il tente d'amener le modèle à saisir le personnage, puis, avant d'imposer la pose, laisse le modèle chercher le geste approprié, instinctivement, par lui-même, car de tels mouvements sont toujours plus gracieux. Dans d'autres cas, l'artiste permet au modèle de choisir la position et façonne son travail en fonction de cette dernière.
Dans la pratique académique qui prévalait dans la première partie du siècle et qui était à la base de la pédagogie académique, les peintres étaient formés pour développer une composition à travers une ébauche se référant à la tradition, ce qui limitait forcément la variété de la pose.
Maintenir une pose, sauf peut-être couchée, était une compétence en soi et un défi physique. Certaines attitudes sont très difficiles à conserver et vers la fin d'une séance, dans toutes les tenues debout, aussi simples et naturelles soient-elles, le seul poids du corps appuyant sur la plante des pieds devient en quelques sortes un supplice. Aussi les positions ne peuvent être conservées que quelques minutes à la fois. Thérèse se souvient que lorsqu'on lui a demandé de se faire passer pour Salomé, "je devais m'appuyer sur ma jambe gauche, cambrer le dos et tenir ma tête en arrière, sur le côté - le peintre me maintenait dans cette posture pendant quatre ou cinq heures à chaque séance. Heureusement, tous les artistes ne sont pas aussi exigeants !"
Les modèles chevronnés étaient néanmoins fiers de gérer la douleur et l'ennui que l'immobilité forcée exigeait et développaient des stratégies pour y parvenir :
"Heureusement ce travail me permet de penser à tout sauf à ce que je fais. Je suis sûr que c'est pour cela que les artistes me trouvent si bon modèle, docile, gracieux et pas raide. Tenir une pose, si vous vous ennuyez, devient vite fatigant et vous n'avez pas l'air naturel. Si vous avez peur de rester immobile vous devenez raide et rigide. Pour bien poser il faut oublier, penser à autre chose, ne pas être conscient de la lenteur du temps. Oublier qui l'on est, se perdre dans une autre vie complètement en soi, j'ai cette facilité à me diviser en deux, ce qui est idéal pour ce travail épuisant."
Dixit Marie Renard, Modèle
Les Modèles, la petite histoire
25 Novembre 2017, Rédigé par Education-programme
Durant la seconde moitié du XIXème siècle se tenait place Pigalle à Paris, vers la fontaine de la place, un marché des modèles.
Les peintres en mal de composition y trouvaient à louer de brunes Junon, de blondes Vénus, des enfants frisés comme Cupidon, et des vieillards à la barbe fluviale : c’était l’Olympe à deux pas de la “Nouvelle-Athènes” où littérateurs et artistes devisaient longuement chaque soir...
Dans un article de presse intitulé : « La vie et les mœurs des modèles », Louis Vauxcelles rapporte que les modèles professionnels des années 1850, traditionnellement d’origine italienne, se trouvent 50 ans plus tard remplacés par la Parisienne.
Il explique que le nu académique n’est plus forcément ce que l’on demande : « nos modèles de 1905 savent se retrousser, porter un collet de chinchilla, des bottines de chevreau glacé, des gants à douze boutons. Déshabillés, en corset ou en Vénus ils ont de l’allure et de l’esprit – Rares sont les modèles qui restent modèles. On pose, en attendant mieux, pour faire plaisir à un ami peintre, pour parfaire le Louis nécessaire à la couturière ou au proprio. On est midinette, fleuriste, blanchisseuse, mannequin, chanteuse, actricette, demi-mondaine… à raison de 5 francs la matinée. On peut compléter ses revenus si l’occasion se présente et l’on monte sur la planche pour poser l’ensemble ou le détail. Certaines, que le métier amuse sans trop fatiguer, ou que la camaraderie d’artistes séduit, demeurent modèles trois mois, trois ans. Mais la plupart ne considèrent l’emploi que comme un pis-aller de transition. »
Le dessin d'après modèle vivant devient au XIXème siècle la dernière étape du cursus de l'école des Beaux-Arts.
En 1850, les modèles sont alors couramment payés un franc de l'heure, c'est-à-dire environ trois ou quatre euros d'aujourd'hui. Vers 1875, la pose ordinaire de quatre heures coûtera environ cinq francs pour les artistes mais seulement trois pour les écoles d'art, à la condition toutefois qu'elles emploient le modèle régulièrement. La photographie, en passe de se démocratiser, commencera ensuite à concurrencer sérieusement les modèles vivants dans certains ateliers privés.
Une autre enquête datée de 1901 recense entre 800 et 850 modèles professionnels, très souvent d'origine italienne. Ils résident essentiellement dans les quartiers de Saint-Victor à Paris. Les femmes, de préférence avec des formes généreuses, sont alors payées cinq francs, 45 €euros actuels, pour une séance de quatre heures et les hommes, moins recherchés, quatre francs pour la même durée.
Selon l'expression d'alors, on n'a pas de cuisse de nymphe à moins de un franc de l'heure, alors qu'un Jupiter olympien peut se négocier autour de quinze sous, mais un modèle mâle pose à tout âge tandis que la beauté d'un modèle féminin est forcément éphémère. Les nobles vieillards à grandes barbes blanches restent toujours recherchés afin d'incarner quelques Dieux, alors que les femmes aux formes fluettes ou bien celles qui évoquent les rondeurs à la Rubens doivent nécessairement être assez jeunes.
Par ailleurs à l'image de l'équipement sanitaire de l'époque et l'hygiène d'alors étant assez rudimentaire, avant la séance de pose, il n'est semble-t-il pas rare de demander au modèle de bien vouloir faire un petit brin de toilette…
C'est le professeur, éventuellement le massier, qui détermine le choix de la pose du modèle, plus exceptionnellement des modèles, celle-ci peut être plus ou moins longue en fonction du cours - études rapides sous forme de croquis ou dessin académique plus poussé. La salle d'étude ou l'atelier est toujours munie d'un paravent avec peignoir afin que le modèle puisse se dévêtir en toute "pudeur" et hors des regards, une estrade ou une table tournante sans oublier un radiateur d'appoint avec parfois quelques éclairages complètent l'équipement.
Pêle-mêle, un siècle d'études académiques dans les ateliers
LES MODÈLES à travers la presse de l’époque
Il y a cent circonstances à la suite desquelles on devient modèle et la vocation peut même entrer en ligne de compte. Quelque fois les jeunes femmes font de la pose un métier, par hasard d’abord, puis elles finissent possiblement par l’adopter.
Un artiste, par exemple, a remarqué quelques filles amusantes de silhouette ou ayant une physionomie particulière, ou encore une démarche qui n’est pas banale. Il proposera alors à la jeune personne de lui accorder une séance de travail, bien moins pénible que son travail habituel et dont elle vit mal. Elle acceptera peut-être ?
D’autres trouvent cette ressource dans les heures de détresse, comme cette belle fille que le peintre Paul Sain rencontra sur le Pont Neuf au moment où, désespérée, elle enjambait le parapet pour se jeter dans la Seine, et qu’il arrêta fort heureusement à temps.
Les conseils d’amis en décident d’autres à monter sur la table de pose.
La première séance jette parfois le modèle féminin, encore qu’il sache bien de quoi il s’agit, dans quelque embarras. Ces révoltes de la pudeur se traduisent souvent d’une façon singulière. L’une de ces nouvelles recrues des ateliers consentit bien à se dévêtir sans difficulté : la robe, les jupons, la chemise tombèrent sans qu’elle en rougit trop. Mais on ne put jamais obtenir d’elle qu’elle ôtât ses bas. Aujourd’hui encore, elle ne fait qu’une demi concession et quand elle pose l’ensemble, elle garde ses chaussettes.
Chaque modèle possède sa spécialité et c’est rarement qu’on trouverait l’original vivant d’un tableau pour lequel l’artiste a dû avoir recours à divers auxiliaires.
La beauté en art, dit plaisamment Paul Dollfus, devrait s’appeler arlequine, comme ces deux soeurs qui réalisent un tableau complet : l’une ayant les jambes d’une beauté accomplie, l’autre un admirable buste.
Il y a des modèles qui ont une vie parfaitement bourgeoise et rangée, comme Marie Renard qui a posé pour la Femme au Masque de Gervex ou cette autre qui soutient tout une ribambelle de petits frères et soeurs et qui serait digne d’un prix de vertu de l’Académie.
Mais il faut bien convenir que c’est là l’exception, que la régularité est ce qu’il y a de plus difficile à obtenir de la part de ces indépendantes et il est rare qu’une belle fille apporte dans le travail intelligence et esprit assez cultivé.
Un certain honneur professionnel existe toutefois volontiers. Ainsi, une certaine Adèle posait pour un tableau important, lorsqu’il lui arriva de faire la rencontre d’un amoureux fortuné qui lui offrit un petit hôtel et tout ce qui s’en suit. Elle qui gagnait ses 5 francs par jour n’abandonna point le peintre au moment où il avait besoin d’elle, et, comme l’amoureux se donnait la fantaisie d’être jaloux, elle imagina des ruses pour tout de même donner à l’artiste quelques heures de pose comme auparavant.
Paul Ginisty dans l'Année Littéraire - 1888
Le lundi est jour de grande foire et sur le coup de midi, près de la Place d’Anvers, se déroule un spectacle curieux.
Accotés à la grille de fer, qui entoure le coin de verdure d’où émerge un maigre jet d’eau, des groupes étranges demeurent immobiles, comme figés.
C’est un attroupement bizarre de femmes vêtues d’oripeaux voyants, d’enfants de tous âges, de vieillards majestueux avec de longs cheveux blancs et de grandes barbes qui leur donnent l’aspect de Père-Noël.
Les femmes sont parfois jolies avec leur teint chaud, leurs bandeaux sombres et leurs yeux de velours noirs ; les enfants sont beaux comme des petits dieux païens, quant aux ancêtres, on se sent toujours tentés de réclamer leur bénédiction.
Ce sont des modèles !
La place d’Anvers est un de leurs grands marchés, l’autre se tient place Saint-Victor, près de la rue Mouffetard. Mais ce dernier lieu est surtout fréquenté par les italiens qui viennent de débarquer dans l’année.
Longtemps, les peintres et les sculpteurs n’employèrent que des italiens, dont la plastique répondait assez à la beauté classique. Mais peu à peu les artistes se fatiguèrent de l’identité des formes et du manque de variétés que présentait cette race et ils cherchèrent des modèles parmi les petites parisiennes.
Ce fut difficile au début. Les filles d’Italie, habituées à monter sur la table de pose dès l’âge le plus tendre, trouvent tout naturel de se dévêtir pour s’exposer nues. Les ouvrières parisiennes, si délurées pourtant, éprouvaient une dernière pudeur à paraître dans le costume de Phryné. Entraînées par des amis, aguichées par les promesses d’un métier lucratif et peu pénible, elles finirent cependant par imiter les italiennes et, aujourd’hui, les plus jolis modèles de nos peintres en renom sont pris parmi les ouvrières et les trottins.
Quel est donc le gain que peut ambitionner un bon modèle ?
Il varie avec le genre de pose réclamée, cependant la séance ordinaire, c’est-à-dire de 4 h, se paie 5 francs. Quelques femmes particulièrement recherchées par leur beauté atteignent 20 francs.
Un peintre qui, il y a plusieurs années, exposa un gibet, paya jusqu’à 5 francs l’heure l’italien qui consentit à faire le pendu. Il est bon d’ajouter que la position était fort critique et dangereuse. Dix fois l’italien recommençait sa pendaison et son pauvre visage se crispait sous la souffrance.
Parmi les modèles femmes il en existe peu qui posent l’ensemble. Lisez le nu. Alors pour compenser ce manque, il se produit de singulières associations : l’une posera pour les jambes, l’autre pour le torse, celle-ci pour les bras et celle-là pour la tête.
- Oh ! Moi, je ne pose que la tête, me disait un jour avec un joli sourire une fille, mais je ne me présente jamais sans ma cousine qui, elle, accepte de poser l’ensemble. Dame ! Il faut bien savoir s’arranger.
Outre les professionnels, on rencontre bien entendu le modèle par occasion. Le chômage conduit bien des fois à la table de pose, et je connais une brave couturière qui soutient comme ça toute sa petite famille. Évidemment, c’est l’exception et ce n’est généralement point parmi les ouvrières probes et rangées que se recrutent l’ordinaire marchandise de l’ensemble.
Signé Santillane du quotidien Gil Blas du 14/11/1902
Modèle Fin-de-siècle
11 Octobre 2015, Rédigé par Education-programme
"Lorsque les élèves des Beaux-Arts sont rassemblés dans chaque Atelier, le massier ordonne aux modèles de se déshabiller. Une fois qu'elles sont dans un état complet de nudité, les élèves les soumettent à une inspection minutieuse, discutent celle-ci ou celle-là, avec autant de science et de professionnalisme que des marchands d'esclaves. L'un fait prendre telle pose, l'autre veut tel mouvement. On parle fort, on s'échauffe, on vante le mérite d'une blonde ou le charme d'une brune. Enfin on finit par voter et celle qui obtient le plus de voix est admise pour une semaine ou davantage à poser devant ces messieurs !"
Cf/ Yves Guyot /Ed Charpentier 1882
La revue « L’Étude académique », destinée à un public d’artistes et qui lui propose des poses variées, note dans son éditorial du 1er août 1905 :
« Pour faire une œuvre maîtresse, il ne suffit pas que l’artiste ait l’intelligence de la forte conception de son art, il faut encore qu’il soit servi par la perfection de son modèle ».
La plupart des femmes représentées dans cette revue sont belles et très féminines, généralement petites et avec des hanches bien marquées, elles sont bien plus potelées que nos contemporaines mais elles dégagent toujours un charme indéniable.
Entre 1905 et 1920 plusieurs centaines de femmes sont venues se déshabiller devant l’objectif des photographes de la revue. Certaines l’ont fait de manière occasionnelle et d’autres plus régulièrement. Elles ont en moyenne entre 15 et 25 ans, mais il arrive aussi parfois de faire poser - en nu artistique uniquement pour études bien entendu - des adolescentes, la législation de l’époque n’y trouvant alors rien d’anormal.
En 1903, après Le Panorama Salon de Ludovic Baschet, Émile Bayard publie le premier numéro de la revue mensuelle Le Nu Esthétique. Annoncé comme un album de documents artistiques d’après nature, le magazine se propose de favoriser l'inspiration des artistes en devenir en montrant des photos de modèles nus, hommes, femmes et enfants dans des poses variées mais toujours académiques sous peine de censure. Si les modèles masculins portent un cache-sexe, souvent en forme de fleur ou feuille de vigne, les femmes y apparaissent dans toute leur nudité, au moins jusqu’en 1908, c’est-à-dire avant l’intervention du sénateur Bérenger dit « le père la pudeur ».
Devant le succès de cette publication, d’autres éditeurs utiliseront à leur tour le prétexte artistique pour vendre du Nu et leur magazine. En effet, il semble suffisant afin d’éviter la censure de mentionner : « A l’usage des peintres et des sculpteurs ».
En février 1904 paraîtra le premier numéro de l’emblématique « L’Étude Académique », bi-mensuel créé par Amédée Vignola. Le fascicule prétend toujours servir les artistes, peintres, sculpteurs, architectes, décorateurs, graveurs… En fait, il semble que la revue n’ait pas vraiment inspiré lesdits artistes ; le seul exemple notoire étant celui d'Henri Matisse qui y découpait ses nus.
Au début du siècle dernier la nudité reste tolérée dans la mesure où elle n’est ni obscène, ni contraire aux « bonnes mœurs ». Les poses doivent se conformer aux règles de l’académisme en vigueur chez les peintres et sculpteurs. Cependant, la loi ne définit pas la frontière étroite entre l’obscénité et le toléré, laissant aux juges le pouvoir d’en décider eux-mêmes. Jusqu’en 1908 presque tout est permis, les photos ne sont pas retouchées mais celles-ci ne bénéficient ni d’affichage ni de publicité, les magazines sont présentés sous des couvertures cachetées et interdits aux mineurs. Photos et publications diverses sont souvent vendues par correspondances.
Georges Fragerolle, Paul Cosseret
La prospérité des modèles paraît être aujourd’hui à son apogée.
Jamais, en effet, on a vu pareil nombre de peintres et de sculpteurs ; les administrations et les particuliers ne possèdent plus d’espace assez vaste pour accumuler, entasser, conserver des kilomètres de toiles peintes et des m3 de marbre taillé.
Il y a aujourd’hui des boîtes à Salons, comme il y a des boîtes à bachot : des espèces d’usines où des professeurs patentés enseignent avec beaucoup de recommandations. Ceux-ci garantissent à leurs élèves la réception à l’exposition officielle au bout d’un nombre d’heures arrêtées.
Quel est le père de famille qui n’a pas reçu une circulaire lui offrant pour son rejeton la gloire artistique à prix fixe ?
C’est un peu la revanche de 1830, des époques où les artistes étaient des êtres d’exception, vivant dans un monde idéal, désintéressé, traitant de petits bourgeois tous les autres.
Désormais les bourgeois sont entrés dans le mouvement, et ils aiment mieux que leurs fils soient aux Beaux-Arts plutôt qu’au Bon-Marché ; ils préfèrent voir leurs filles fabriquer des croûtes plutôt que vendre des petits fours.
Qui est-ce qui en profite ?
Ce n’est certes pas le public qui a bien de la peine, au milieu de ce débordement, de cette profusion, de distinguer le bon du mauvais.
Ce ne sont pas les artistes, qui entendent traiter leurs œuvres de produits tout comme la cassonade ou l’eau de Cologne, et qui sont contraints de remplacer le talent par la réclame et le travail par les soirées mondaines.
Mais ce sont sans aucun doute les modèles ou plutôt les jeunes filles susceptibles de le devenir. A elles, tout le bénéfice de cette augmentation de la demande. On les paie bien, on les traite bien et pour peu qu’elles aient une particularité légèrement remarquable, on leur bâtit une réputation. Le jour n’est pas loin où on leur fera des ponts d’or, ni plus ni moins qu’à des divas d’opérette.
Psychologiquement, les femmes modèles ne se distinguent guère des autres en général.
Un peu de vanité, beaucoup de besoins, c’est là ce qui les amène sur la table de pose. Quant à leurs mœurs, si elles sont plus originales, plus curieuses que celles de la plupart des femmes, cela tient uniquement à leur métier, au monde qu’elles fréquentent, aux conversations auxquelles elles assistent. Elles n’y sont pour rien, peu intellectuelles, souvent très malléables, les modèles possèdent au plus haut point la faculté d’assimilation.
Viennent les modèles réellement professionnels, tel Rosalie, le modèle préféré de Paul Baudry, qu’il a mis largement à contribution dans les différentes scènes mythiques du foyer de l’Opéra. C’est également le portrait de Rosalie qui figure sur certains billets de la Banque de France.
Comme Marie-Louise, la collaboratrice de Benjamin Constant ou encore Emma Dupont, le modèle ordinaire de Jean-Léon Gérôme ; Pauline Saucey qui se spécialisa pour le torse dans les ateliers des peintres Bouret et Bayard ; Sarah Brown qui posa dans l’atelier de Jules Lefèbvre et prêta son ensemble, qu’il est à peine besoin d’idéaliser, dans l’Ariane abandonnée de M. A. Laurens.
Comme Chiara, la chaste Suzanne de Henner exposée en 1867 et que tous les peintres se disputèrent à Rome. Contentons-nous pour finir de signaler encore Marie Renard, qui dans la Femme au masque de Henri Gervex, n’est vêtue que d’un seul loup en dentelle.
L'ART DU NU ACADEMIQUE AU XIXème SIÈCLE
On entend généralement par "nu académique", d'abord un grand dessin, ensuite une peinture ou encore une sculpture, représentant un ou plusieurs nus, "l'académie", fait d'après un modèle vivant. C'est également le cours d'académie dispensé obligatoirement jusqu'en 1970 dans les écoles des Beaux-Arts. L'exécution du nu est soignée et toujours figurative. Le corps doit être lisse et glabre avec un modelé travaillé. Les poses sont variées et la référence originelle à la mythologie prendra avec le temps une importance secondaire.
De tout temps l'homme a aimé contempler un joli corps de femme, avec ou sans artifices.
Quoi de plus naturel en somme que de se le représenter en peinture et l'artiste du XIXème siècle s'impose comme un incontestable spécialiste du genre.
Et le peintre, ou le sculpteur, aura toujours l'avantage sur le photographe de pouvoir regarder deux fois son modèle, de l'observer en nature et en train de se faire.
Dès la Renaissance, l'anatomie, indissociable du nu, fait partie intégrante de l'éducation des artistes et est enseignée dans les académies, principalement à partir du dessin d'après l'antique, du modèle vivant et de la dissection des cadavres. Des études préalables à la représentation analysent en détail toutes les parties du corps humain.
La mythologie fournit en principe les thèmes de mise en scène du nu à travers : Apollon, Ariane, Persée délivrant Andromède, Diane et Actéon ou encore Mars et Vénus. La Bible constitue la seconde source d'inspiration avec Adam et Eve, Loth et ses filles, David et Bethsabée, Suzanne et Joachim, les scènes de martyr… Initialement, les représentations de nus sont étroitement liées à la peinture d'histoire qu'elle soit antique, biblique ou mythologique. Dans l'art religieux, le nu, banni par le Concile de Trente (1545-1563), tient une place modeste.
L'étude du corps se fait donc d'après nature ou par la copie des œuvres d'art antique que l'artiste débutant, à défaut de moulages, trouve dans des recueils de reproductions spécialement prévus à cet effet, et qui font office de manuels de morphologie. Dès sa création, l'école des Beaux-Arts fait référence à ces canons classiques qui constitueront la règle de son enseignement jusqu'au milieu du XXème siècle.
Cet art du nu peut se définir comme un genre particulier, mais bien des oeuvres majeures de la sculpture et également de la peinture occidentales comportent des personnages plus ou moins dévêtus.
Les nus classiques ainsi que néo-classiques vont prendre un caractère moral avec des poses aux corps anatomiquement parfaits, qui exaltent le courage, le patriotisme, le sentiment héroïque. Les attitudes, dans des mises en scène théâtrale, sont étudiées de manière à ne rien montrer qui puisse offencer la pudeur, beaucoup de peintres utiliseront d'ailleurs les ressources du drapé pour habiller les parties sensibles de leurs figures afin de les rendre plus présentables.
A partir de la seconde moitié du XIXème siècle, le nu deviendra moins académiquement traditionnel pour gagner en frivolité afin de satisfaire le collectionneur bourgeois, sans doute davantage amateur d'anatomie féminine que de grand style. Les artistes abandonnent donc le support jugé fastidieux de l'Histoire, de moins en moins porteur, pour se rapprocher de scènes exotiques dont les compositions, plus libres, se rapprochent parfois de l'érotisme autour des symboles habituels de la chevelure, du harem ou du miroir.