Le sérieux et la rigueur dans l'apprentissage des règles des Arts au XIXème siècle n'excluent pas pour autant un sens certain de la fête et du folklore...
En permanence, hier comme actuellement, l'organisation du système culturel, de ses valeurs, engendrera toujours des critiques et des contestations. Malgré la résistance d'une partie de la communauté professionnelle encore attachée au maintien des anciens fondements, les détracteurs chercheront naturellement à établir de nouvelles pratiques et de nouvelles conceptions et donc à réformer les postulats officiels.
L'éducation artistique aujourd'hui ne repose plus sur une initiation dogmatique dans une tradition imposée que l'étudiant n'aurait pas les moyens d'évaluer ou la liberté de critiquer. Les techniques normatives et les modèles canoniques ont été rejetés au profit de techniques aléatoires, supposées libérer l'expressivité des élèves.
Il demeure cependant que l'on peut toujours essayer de justifier l'ancienne formation académique et tenter au moins d'en apprécier son fonctionnement en lui apportant, non pas notre définition moderne de la pratique artistique, mais en nous référant à ses propres objectifs, dans leurs propres contextes.
Au XIXème siècle, l'apprentissage des Beaux-Arts est transmis par le système scolaire dans sa double mission de conservation des techniques et des idéaux reconnus par la plupart des professionnels. La tâche d'une école spéciale comme l'école des Beaux-Arts est de dispenser la culture technique jugée nécessaire à l'exercice d'un métier ; en formant à un métier, peintre ou sculpteur, elle inculque également les valeurs fondamentales et intellectuelles qui sont attachées à la profession. Par ailleurs et comme toujours en pareil cas, lorsqu'une situation d'incertitude et de crise apparaît, celle-ci se reflète nécessairement sur l'institution scolaire et tend à modifier, sinon à bouleverser, son système pédagogique.
Les changements d'organisation du milieu scolaire, comme la transformation des modes d'enseignement ou des matières enseignées, répondent normalement aux changements sociaux, générateurs de nouveaux besoins en matière d'éducation. Les réformes des études sont donc des ajustements aux besoins de la société ; ils indiquent l'existence d'un problème perçu sous la forme d'un dysfonctionnement du système et la manière dont la société le perçoit et entend le résoudre. Ces ajustements périodiques, nécessaires et incontournables, de l'enseignement semblent d'ailleurs de nouveau d'actualité, si au XIXème siècle l'apprentissage apparaît comme excessivement codifié, au contraire, celui d'aujourd'hui pêchera sans aucun doute par manque de repères.
A l'époque, la formation était suivie d'une période au cours de laquelle l'étudiant se trouve dans une relation d'apprenti avec un maître. Cette dépendance à une tradition rigide a été néanmoins productive, elle a permis des évolutions stylistiques stimulantes par des rivalités, notamment entre écoles et entre artistes.
Il peut paraître étonnant que l'on ait accusé ce type de formation d'avoir fossilisé les disciplines artistiques si l'on se reporte au foisonnement stylistique qui a marqué le XIXème siècle, période qui fut la plus largement dominée par la formation académique.
La personne qui se destinait à l'art était, généralement, issue d'un milieu modeste. La suspicion qui s'attachait au métier manuel était déjà présente au XIXème siècle, renforcée par la méfiance toute naturelle qui entourait la vie de bohème des artistes. La bourgeoisie ne considérait pas la carrière des arts comme un état honorable et il faut souligner que les apprentis artistes aisés pouvaient parfaitement se dispenser de l'enseignement de l'école et renoncer aux grands prix. Amaury-Duval par exemple ne s'inscrivit pas à l'école des Beaux-Arts. La carrière artistique pouvait bien entendu servir d'ascenseur social mais encore devait-elle s'inscrire dans la voie traditionnelle qui passait par l'école des Beaux-Arts ainsi que par le Prix de Rome, sans oublier les salons et les commandes publiques, pour se terminer, dans la mesure du possible, par la consécration de l'Institut.
Cependant, avant de tenter sa chance au concours des places de l'école des Beaux-Arts de Paris - la place permet aussi le choix de la position physique face au modèle - l'élève devait passer par une formation progressive qui imposait deux étapes distinctes : l'apprentissage graphique élémentaire et l'apprentissage pratique.
Il avait dû en conséquence, avant d'être éventuellement reçu aux Beaux-Arts - rappelons que les femmes n'y étaient pas encore admises - s'inscrire dans un atelier privé, parisien ou d'une grande ville de province. Les ateliers privés, dirigés par des artistes plus ou moins célèbres, les plus courus étant ceux dirigés par les membres de l'Institut, étaient des lieux d'apprentissage pratique qui non seulement préparaient aux concours de l'école mais aussi complétaient son enseignement et où l'élève pouvait apprendre à broyer les pigments, à passer l'apprêt sur une toile, à sonder un marbre ou à aviver un ton. L'enseignement à l'école des Beaux-Arts, jusqu'à sa réforme de 1863, n'apprenait pas à peindre et restait cantonné au seul dessin doublé d'un peu de théorie sur l'histoire, axée sur une période donnée et décrivant des événements historiques, bibliques ou mythologiques. Les séances de dessin d'après le naturel - le modèle vivant - ou d'après la bosse - le plâtre antique - étaient en outre complétées par un cours de perspective, par un cours de géométrie et un cours d'anatomie pour lequel l'école de Médecine devait obligatoirement fournir un cadavre. Là se limitait l'enseignement que dispensait l'école académique. Le dessin en était la base et la fin.
Le milieu académique tenait l'originalité pour un don natif, strictement individuel, qui n'appartient donc pas par définition au domaine légitime de l'enseignement. Les enseignants font également de cette originalité une disposition psychologique et, fort logiquement, ils ne prenaient donc pas, ou peu, l'interprétation personnelle des élèves en compte.
La tradition demeurait forte dans les ateliers, souvent même proche du folklore (1). L'étudiant, qu'on appelait aussi le rapin, devait obéissance et respect aux anciens sous peine, entre autre, de "broche au cul". Cette peine s'appliquait de deux manières : on asseyait le bonhomme par terre, on lui passait un manche à balai entre les jambes puis on le hissait sur un tabouret pour lui déboutonner sa culotte et lui passer entre les cuisses une barre de fer peinte avec du vert mignon : un camarade imitait le bruit de la chair grésillante. Le rapin éprouvait alors la sensation d'une vive brûlure, ce qui faisait beaucoup rire ses camarades. Autrement, le patient devait faire un discours et chanter une chanson la plus paillarde possible. Ce folklore perdurera jusqu'au XXème siècle, n'excluant ni l'imagination, ni l'humour, ni la virulence. Si l'organisation sociale de l'atelier conservait quelque chose de la structure hiérarchique des corporations, l'apprentissage n'en avait pas moins subi quelques mutations, mutations liées déjà à la position dominante occupée par l'école des Beaux-Arts qui déterminait les formes de l'enseignement artistique, non seulement à Paris, mais aussi dans la France, voire le monde entier.(2)
La formation artistique au XIXème siècle comprenait donc, parallèlement à l'école, de grands ateliers privés qui disposaient de modèles vivants et qui étaient appelés des "Académies". Le dessin avait là aussi une importance particulière car il entrait dans la pratique de beaucoup d'industries et ouvrait sur de nombreuses professions artisanales.
Le débutant était mis devant des modèles de gravures qui représentaient des éléments du corps humain dans toute les positions, et qu'il devait copier inlassablement jusqu'à la maîtrise complète. Il commençait en général par la forme jugée la plus simple à reproduire, c'est-à-dire le nez et terminait par le pied ou l'oreille considérée traditionnellement comme plus difficile. Ayant acquis l'alphabet du dessin, l'élève continuait à reproduire des gravures mais d'après des oeuvres consacrées comme les marbres antiques de Raphaël. Il apprenait ensuite à rendre le contour et le relief par des hachures. L'étape suivante était le fameux exercice d'après la bosse. Placé devant une copie en plâtre d'une œuvre de la statuaire classique, l'élève devait s'initier aux mystères de la demi-teinte, des proportions, de l'ombre et de la lumière. Après avoir observé et reproduit la nature sur le modèle vivant durant le cours de nu académique, celui-ci pouvait enfin passer au dernier palier de sa formation : la pratique de la peinture, de la sculpture. Véritable moment de consécration longtemps espéré.
Ce qui constituait la spécificité et justifiait l'existence des ateliers privés était l'apprentissage de la peinture et de la sculpture puisque ces techniques n'étaient pas dispensées au départ par l'école des Beaux-Arts. L'élève apprenait davantage en observant ses camarades travailler, en les interrogeant, que par l'enseignement direct qu'il pouvait recevoir du "patron". Celui-ci ne visitait l'atelier en général que deux fois par semaine et ses leçons se bornaient à une simple correction des travaux en cours, parfois accompagnée de commentaires plus ou moins subjectifs sur la nature et les principes immuables de l'Art. Si la discipline, c'est-à-dire la peinture ou la sculpture, différait du dessin de l'école des Beaux-Arts, le principe de jugement restait identique puisque le "patron" se confondait le plus souvent avec le professeur qui corrigeait le soir à l'école les mêmes élèves qu'il avait le matin dans son atelier privé. Le cursus et les critères académiques ne pouvaient donc n'être que respectés.
Néanmoins, le maintien intransigeant des principes esthétiques du "grand genre" par les membres de l'Académie, fut de plus en plus souvent contesté par les lauréats du Prix de Rome qui restaient dans l'obligation de leur faire parvenir des travaux fidèles à cet esprit. Les élèves romains avaient déjà probablement conscience d'être dans l'obligation de perpétuer un style à bout de souffle et condamné finalement aux seuls achats publics. La peinture d'histoire ne représentait plus qu'une part infime du marché privé et les artistes du grand genre était de moins en moins appréciés, la mise en oeuvre d'une réforme pédagogique devint donc, à terme, inéluctable.
La nouvelle école.
Le décret du 15 novembre 1863, paru au Moniteur universel indique l'esprit de la réforme. Arrêt daté du 14 janvier 1864 et signé du Maréchal Vaillant, ministre des Beaux-Arts.
"A l'école des Beaux-Arts de Paris, la formation pratique des différents arts est renforcée grâce à l'ouverture d'ateliers préparatoires - trois pour la peinture, trois pour la sculpture - confiés à des artistes désignés par le ministre tandis qu'un enseignement théorique est officialisé avec la fondation de chaires d'esthétique et d'histoire de l'art, d'histoire et d'archéologie qui viennent s'ajouter aux cours d'anatomie et de perspective. Le concours du Prix de Rome est modifié, sa limite d'âge est abaissée de trente à vingt-cinq ans entraînant la limitation d'âge pour l'inscription à l'école, comprise dès lors entre quinze et vingt-cinq ans. Un seul Grand Prix est décerné par discipline et le Prix du Paysage historique est supprimé. La durée du séjour à Rome est réduite à quatre années. Le jugement du concours est retiré à l'Académie des Beaux-Arts. Le directeur de l'Académie de France à Rome est désormais désigné par le ministre. L'administration de l'école des Beaux-Arts est enlevée au Conseil des professeurs pour être confiée à un directeur et la nomination du corps enseignant, jusque là coopté avec approbation du ministre, revient à l'autorité de tutelle : Un Conseil supérieur de l'Enseignement désigné par le ministre. L'introduction du modèle vivant féminin dans les ateliers, aux cours du soir et dans les loges, sera autorisé l'année suivante".
Le discours d'ouverture du Salon de 1864, prononcé par le Maréchal Vaillant :
"C'est pour élever l'art contemporain que l'Empereur à décrété les expositions annuelles ; il lui a paru que ce contact, pour ainsi dire permanent, des artistes avec le public stimulerait plus efficacement leurs efforts et ajouterait à leurs forces, comme l'habitude de combattre ajoute aux forces d'une armée ; et en autorisant en même temps la formation d'un jury renouvelable chaque année, et directement élu par vous, il a voulu que la lice fût ouverte à toutes les intelligences et qu'aucun préjugé d'école ne vint entraver les diverses aspirations du talent. C'est sous l'empire des mêmes pensées libérales que des réformes ont été apportées à l'organisation des écoles artistiques de l'Etat, que le cercle de leur enseignement a été élargi et complété, et que l'Etat a repris pour la direction des études l'exercice des droits qui lui appartiennent et qu'il ne saurait aliéner".
Le problème récurrent des Arts.
L'Ecole de dessin, 1862, 2ème année - 1ère livraison, signé A.G.
"La jeune école par excellence n'a pas de système, n'a pas de direction, en un mot elle n'est plus gouvernée.
Est-ce un bien ? Est-ce un mal ? S'il fallait s'en rapporter aux résultats, nous serions plutôt tentés de croire que c'est un mal. L'art marche un peu au hasard, sans pilote et sans boussole, ouvrant sa voile au souffle de la fantaisie régnante ou du caprice de la mode, sans savoir où il va.
Aujourd'hui il nous faut du nouveau, n'en fût-il plus au monde. Mais comme l'invention dans les arts d'imitation a porté nécessairement ses bornes, on est enclin a inventer des manières, des procédés, où l'art disparaît bien souvent sous l'industrie. Chacun suit sa fantaisie, n'a de foi qu'en soi-même et court après l'originalité pour n'attraper que le bizarre. On croit avoir atteint le résultat recherché quand on a réussi à faire, non pas mieux que son voisin, mais autrement. C'est donc à faire autrement que visent aujourd'hui bien des artistes...
Tous les moyens semblent bons pour attirer l'attention d'un public désorienté qui va d'un style à l'autre, quitte celui-ci pour celui-là, et forme ces divers groupes ou coteries où chacun combat non pour l'art et sa perfection, mais pour son couvent et sa secte".
A noter :
La succession périodique des réformes de l'enseignement artistique, depuis la réforme initiale de 1863, signale des incertitudes et une inadaptation récurrente de la formation aux besoins de la société. Les causes qui provoquèrent la crise de 1863, c'est-à-dire déjà : l'inadaptation de la formation à la réalité contemporaine, la constitution d'une classe pléthorique d'artistes sans emploi, le manque parallèle de techniciens dans les domaines de l'art appliqué économiquement viable, sont peut-être encore plus évidentes aujourd'hui qu'hier.
La rénovation des filières artistiques demeure d'actualité, mais il faut bien admettre qu'aussi longtemps que celle-ci privilégiera la notion vague d'originalité comme valeur suprême de l'apprentissage, les tentatives de réforme resteront vouées à l'échec. L'orientation des écoles et facultés d'art est étroitement dépendante de la politique culturelle de l'Etat qui, non seulement guide dans un sens particulier la création artistique en pesant sur le marché, mais propose également des postes de fonctionnaire de la culture qui auront une naturelle tendance à entériner sa politique. Les écoles et facultés d'art ne remplissent plus leur rôle traditionnel de transmettre un savoir et les savoir-faire qui l'accompagne, la plupart du temps elles ont renoncé à proposer une instruction technique basée sur un type défini de réalisation normée. Pour se justifier, elles n'ont fait que se rabattre sur une pédagogie subjective qui valorise la théorie et la recherche, sur un modèle prétendument inspiré par les sciences, mais sans aucune finalité.
Cf/ Alain Bonnet, L'Enseignement des Arts au XIXème siècle - Les ateliers privés - La réforme.
Collection "Art & société", Presses Universitaires de Rennes, 2006
1) Le Bal des Quat'z'Arts
Organisé pour la dernière fois en 1966, le Bal des Quat'z'Arts réunissait les élèves en architecture, peinture, sculpture et gravure. C'était une grande fête carnavalesque préparée avec soin, chaque printemps et depuis 1892, par les étudiants de l'école des Beaux-Arts de Paris.
C'était un véritable carnaval dans les rues de Paris où défilaient costumés des centaines d'étudiants déchaînés, et qui se finissait en grande fête pouvant parfois donner lieu à quelques débordements.
Les participants, obligatoirement costumés, l'étaient de moins en moins au fil de la soirée qui prenait souvent un tour pour le moins trivial. En 1893, au Moulin Rouge où avait lieu la fête, une certaine Mona, modèle artistique, aurait improvisé un lent effeuillage en musique, inaugurant avec succès le premier strip-tease public. À la suite de cet événement se constitua une "Société de protestation contre la licence des rues" afin de dénoncer ce "fait d'une gravité extrême et d'une inadmissible impudeur…"
Les étudiants des Beaux-Arts étaient souvent rejoints par leurs voisins de l'école de Médecine, tous aussi exubérants que leur amis artistes, et qui à leur tour les invitaient à leur propre fête, le Bal de l'Internat, qui rivalisait avec le Bal des Quat'z'Arts dans l'ambiance et l'imagination.
Au milieu du XXème siècle, le Bal des Quat'z'Arts sera interdit par la police pour cause de troubles à l'ordre public.
Le Bal des Quat'z'Arts à l'origine de l'expression : "j'irai t'apporter des oranges."
L'histoire commence à cause du sénateur Béranger qui, à fin du XIXe siècle, fut surnommé le "Père-la-pudeur", roi de la censure et obsédé par la bonne moralité de ses concitoyens et surtout farouche opposant à l'émancipation des femmes et à leur droit au plaisir.
Cela remonte à 1892 où, sur dénonciation de ce sénateur moraliste, quatre jeunes demoiselles, dont Marie-Florentine Roger, dite Sarah Brown, furent jugées car elles étaient accusées de s'être montrées presque nues dans les rues pendant le défilé du bal des Quat'zarts (élèves de l'école des Beaux-Arts à Paris, à ne pas confondre avec les 'Gadzarts', ingénieurs issus des Arts et Métiers).
L'affaire fit grand bruit à l'époque et, en attendant que le verdict tombe, le poète Raoul Ponchon composa ces deux vers :
"O! Sarah Brown ! Si l'on t'emprisonne, pauvre ange,
Le dimanche, j'irai t'apporter des oranges."
Les invitations et affiches du Bal des Quat'z'Arts bénéficiaient de tout le talentdes élèves de l'école des Beaux-Arts.
Elles constituent aussi un véritable panorama de la mode dans le domaine des arts graphiques.
2) Entre 1848 et 1914, plus de quatre cents architectes américains seront formés par l'école des Beaux-Arts de Paris, ces études n'étant pas encore dispensées dans leur pays. Par la suite, le prestige des architectes de formation française, comme Raymond Hood, incitera leurs cadets à les imiter. Les édifices de "style Beaux-Arts", courant à New York, sont même actuellement remis à l'honneur. Les trois autres disciplines, gravure, sculpture et peinture ne sont pas en reste, et nombreux seront les artistes étrangers a subir l'influence de l'Ecole.