L'apprentissage :
Dès le XVIème siècle, l'anatomie fait partie intégrante de l'éducation des jeunes artistes et elle est enseignée dans les académies, prémices de nos modernes écoles d'art, à partir du dessin d'après l'antique et à partir de la dissection des cadavres. Des études préalables aux dessins analysent en détail toutes les parties du corps afin de bien comprendre comment s'articule le mouvement, afin de bien saisir aussi les nuances et les proportions.
La mythologie fournit donc en partie les thèmes de mise en scène du corps nu à travers : Apollon, Ariane, Persée délivrant Andromède, Diane et Actéon ou encore Mars et Vénus. La bible constitue une autre source d'inspiration avec Adam et Eve, Loth et ses filles, David et Bethsabée, Suzanne et Joachim, les scènes de martyr… Les représentations de nus restent étroitement liées à la peinture d'histoire qu'elle soit antique, biblique ou mythologique. Dans l'art religieux, le nu, banni par le Concile de Trente (1545-1563), ne tient finalement qu'une place modeste.
A l'aube du XXème siècle, une troisième source deviendra de plus en plus communément utilisée et appréciée à savoir : la représentation de scènes reflétant une certaine intimité du quotidien de la femme, comme son lever, sa toilette, son bain...
A l'Ecole des Beaux-Arts, dans les académies privées, l'étude du corps humain se fait couramment par la copie que l'artiste débutant, à défaut de moulages et d'amphithéâtre de dissection, trouve dans des recueils de dessins et gravures spécialement prévus à cet effet et qui font office de manuels de morphologie. La référence aux canons antiques demeure néanmoins la règle de l'enseignement académique et l'apprentissage du dessin d'après modèle vivant - d'abord un nu exclusivement masculin aux Beaux-Arts jusqu'à la réforme de 1863 - et l'étude de l'antique constituent d'ailleurs des disciplines majeures durant tout le XIXème siècle.
Cet art du nu, à partir de l’instant où il devient le thème central du tableau, peut parfaitement se définir comme un genre particulier et bien des oeuvres occidentales, de la sculpture, mais aussi de la peinture, comportent dans leur composition des nus.
Les nus néo-classiques vont prendre un caractère moral dans des mises en scène théâtrales plus ou moins dramatiques, avec drapés et effets d'éclairage recherchés ; des corps à l'anatomie idéale exaltent courage, patriotisme ou encore des sentiments héroïques. Les attitudes des personnages sont arrangées de manière à ne rien montrer qui puisse offenser la pudeur, beaucoup de peintres utiliseront d'ailleurs les ressources du drapé pour habiller et rendre plus présentables les parties sensibles de leurs figures.
Dans la seconde moitié du XIXème, afin de satisfaire les amateurs bourgeois plus friands de belles anatomies que de grand style, le nu devient essentiellement féminin et moins académiquement traditionnel pour gagner en frivolité. Toilette, bain, habillage et soin des cheveux, donnent ainsi accès à une intimité dévoilée où se confondent étroitement pudeur, morale, esthétique ; où le spectateur masculin de l'époque découvre finalement une espèce d'interdit. Les artistes, avec le temps, seront nombreux à abandonner le support jugé fastidieux de l'Histoire pour se rapprocher, entre autre, de scènes exotiques orientales permettant des compositions plus libres, par ailleurs assez souvent proche d'une forme d'érotisme autour de différents accessoires comme le drapé-voile transparent, la chevelure, le narguilé ou le miroir.
Dès la fin du XIXème siècle, véritablement celui de l'âge d'or du nu féminin tant par le nombre que par la diversité des représentations, le modèle vivant cessera progressivement d'être représenté pour lui-même ou dans son rôle et deviendra alors un prétexte d'étude où l'esthétique pure prendra peu à peu l'avantage sur le sens intrinsèque du tableau. Ici alors commencera l'art moderne et se terminera sans doute l'art académique.
Atelier Gérôme, fin de siècle
L'Atelier de peinture dirigé par Jean-Léon Gérôme à l'Ecole des Beaux-Arts de Paris au tout début du XXème siècle.
A remarquer : Le mur palissade qui sert à essuyer les pinceaux et le massier, responsable d'atelier, qui présente avec facétie le modèle, de l'autre côté, un étudiant a ouvert son parapluie. Le contraste est saisissant entre la femme menue et blanche et les fiers "rapins" en tenues sombres qui l'entourent.
On prend la pose bien sûr mais l'ambiance paraît plutôt décontractée, on fume au premier plan, on a retroussé le bas du pantalon - pour faire voir ses bottillons ? Un autre, assis en tailleur, montre la mallette du peintre, sans oublier de chaque côté les chevalets.
Depuis peu, les modèles peuvent être également du genre féminin et les femmes quant à elles obtiennent l'autorisation d'entrer dans un atelier qui leur est tout spécialement destiné en 1900. Celui-ci, sera codifié comme ses homologues masculins.
Le second document, assurément postérieur, nous montre la même cloison en bois toujours aussi maculée de peinture et un joyeux désordre avec des élèves encore très élégants portant gilets, cravates, noeuds fantaisies... Un d'entre-eux, sous le regard attentif du professeur, termine un portrait curieusement sans rapport avec la séance de nu académique.
En règle générale, dans les écoles d'art à Paris comme en province, le cours de nu académique était incontournable et les séances de pose, qui duraient plusieurs heures, avaient lieu une fois par semaine. Le modèle avait droit, sous peine de crampes, à quelques interruptions de ladite pose à condition bien entendu de retrouver la position initiale ; pour se faire, des marques sur le sol ou sur la table tournante et les indications des étudiants lui facilitaient la tâche.
Comme on peut le constater, les études peintes respectent les règles anatomiques, l'interprétation personnelle n'est pas encore encouragée, on est là avant tout pour apprendre le "métier". (voir : Travaux d'élèves)
Photos souvenir. Les élèves des Beaux-Arts posent dans leur atelier, dans les années 1870, devant une galerie de portraits, d'études et de palettes accrochés au mur. Difficile de reconnaître les étudiants des professeurs, tous ont l'air bien "bourgeois" et certains sont d'âge mûr, ce qui ne les empêche nullement de nous présenter avec malice "Oscar", le squelette destiné aux études d'ostéologie et des proportions, dans une attitude de relaxation très confortable. Les étudiantes devront patienter encore quelques années afin d'être admises à l'école.
Pour l'heure, seul le modèle, pour le plus grand plaisir des futurs artistes qui apprécient visiblement de figurer en sa compagnie sur la photo, peut être du genre féminin. Ci-dessous, probablement le même atelier mais quelques années plus tard.