mercredi 22 février 2012

La carte postale et la photo anciennes



Décembre 1872 voit la parution des deux premières cartes postales françaises. Dès 1889 la production de ces cartes atteint déjà quelques millions d'exemplaires par an.
La Belle Époque verra des dizaines d'éditeurs se partager un marché considérable : 600 millions de cartes auraient été éditées en France pour la seule année 1905. On pourrait même considérer que cette carte postale devient l'expression privilégié d'un nouvel art de la correspondance. En tout cas elle offre, hier comme aujourd'hui, une source de documentation irremplaçable pour illustrer de nombreux aspects de la vie sociale et culturelle.

Tous les sujets peuvent devenir prétexte à édition, y compris à de très faibles tirages. De nombreux moments de la vie quotidienne d'une France encore rurale et artisanale sont de cette manière conservés. En ville, ce sont les commerçants et artisans qui se font photographier devant leur boutique ou dans l'exercice de leur activité...
Bien entendu à Paris, les oeuvres exposées au Salon - la manifestation culturelle par excellence - font partie des sujets favoris des éditeurs ainsi que du public et, avant 1914, les reproductions des peintures de nu féminin, sous forme de cartes postales sont autant répandues, voire davantage, que tous les autres genres. Elles sont incontestablement appréciées par de nombreux amateurs, sans doute pas insensibles aux charmes évocateurs des modèles. Il faut dire aussi que la censure veille, ce qui est montrable et toléré en peinture reste toujours interdit en photographie, celle-ci étant jugée inconvenante par son trop grand réalisme.
La composition des peintures reproduites apparaît la plupart du temps comme assez élémentaire avec des poses proche de celles de la vie quotidienne, montrant par exemple le lever ou le coucher, dans le but essentiel de mettre en valeur d'une manière plus ou moins érotique un joli corps de femme. Celui-ci, plus souvent de face que de dos, est naturellement traité de manière figurative et occupe généralement la place centrale du tableau. Le décor est bourgeois selon le goût de l'époque mais il sait parfois aussi être exotique, parfois sobre, et se situer en pleine nature, lorsque la femme devient Odalisque ou Divinité. Pour plus de réalisme, les cartes sont quelquefois colorisées.

A bien observer la quantité innombrable de ces cartes postales qui représente des peintures de femmes dévêtues - tous tableaux officiellement exposés aux Salons de Paris - on peut remarquer plusieurs éléments récurrents :
- Les modèles sont naturellement potelés, sans sophistication excessive, jeunes, parfois même très jeunes et, généralement, d'une autre génération que le peintre.
- Ils sont de sexe féminin avec un physique toujours avantageux ; la pose choisie par l'artiste - presque toujours un homme - est rarement dynamique et le plus souvent lascive et indolente.
- Le sujet se présente exceptionnellement de dos et fréquemment allongé plutôt que dans une autre attitude ; les scènes de réveil, d'étirement, de bain et de toilette sont largement privilégiées.
Le décor assez sobre, composé surtout de draperies, de tentures, de coussins, de sofas, reste représentatif de ce goût fin de siècle. Lorsque le peintre choisit de montrer quelques allégories, la scène se situera alors en pleine nature.
- Le recto de la carte, réservé à la correspondance, n'est que très rarement écrit, quant au verso, outre la belle femme nue accompagnée du fréquent monogramme de l'éditeur, figure généralement un numéro de référence et l'année d'exposition de la peinture au Salon de Paris, le titre de l'œuvre ainsi que le nom de son auteur. A noter : Toutes ses informations peuvent paraître en plusieurs langues, y compris en russe, ce qui confirme la dimension internationale des Salons parisiens.
- Sans doute par crainte de dévoiler un quelconque penchant lubrique un peu voyeur, la plupart du temps les cartes ne sont pas affranchies et n'ont pas circulé, elles sont plus sûrement conservées ou collectionnées.

Toutes ces reproductions ne manqueront pas de soulever la question de la localisation actuelle des peintures originales qui demeurent aujourd'hui si peu montrées. Rares en effet sont celles accrochées aux cimaises des musées, elles figurent plus certainement dans les réserves... Quant aux propriétaires particuliers ? A l'heure de l'art moderne et contemporain peut-être en ont-ils tout simplement honte. Cet art est sans doute jugé comme trop peu cérébral, trop représentatif, et bien trop proche du vulgaire hédonisme.