mercredi 22 février 2012

Fin de Siècle


Fin de siècle, Atelier de Jules Cavelier Aux Beaux-Arts de Paris
et celui d'Ilya Repine à l'Académie impériale des beaux-arts de Saint-Pétersbourg.



Des Beaux-Arts de Paris à la Villa Médicis en passant par les ateliers libres. Des académies, une école, un style, connus et imités dans le monde entier ?
L'École nationale supérieure des Beaux-Arts, alors la plus grande école d'art en France, est l'héritière d'une longue histoire, commencée avec la fondation par Louis XIV des Académies royales de peinture et de sculpture en 1648, puis d'architecture en 1671. Ces compagnies, abolies par le gouvernement de la Convention en 1793, subsistent quelques années sous forme d'écoles académiques pour fusionner en une seule institution sous le Premier Empire, l'École des Beaux-Arts proprement dite ne naissant véritablement qu'en 1819.
Après avoir successivement occupé des salles du Louvre, puis du Collège des Quatre Nations, aujourd'hui l'Institut, l'École s'installe définitivement rue Bonaparte en 1829, sur le site de l'ancien couvent des Petits-Augustins, au centre de Paris et du quartier de Saint-Germain-des-Prés.

L'École nationale des Beaux-Arts possède les collections accumulées au cours de ses trois cent cinquante ans d'existence. C'est-à-dire un patrimoine légué par les Académies royales puis régulièrement augmenté jusqu'en 1968 des travaux de ses élèves avec les dépôts réglementaires et les Prix de Rome notamment, mais aussi de tous les modèles pédagogiques acquis pour leur formation ainsi que de donations exceptionnelles.
Fortes de près de 450 000 œuvres et ouvrages, les collections de l'École des Beaux-Arts de Paris permettent ainsi de reconstituer l'histoire de l'enseignement de l'art officiel en France, qui essaima dans le monde entier, en attirant des étudiants de tous les continents et en imposant le fameux style "beaux-Arts".
Si ces collections ne sont pas présentées de façon permanente, elles font l'objet d'expositions régulières au sein de l'Ecole. S'agissant des dessins, le cabinet Jean Bonna a été inauguré en 2005 : deux expositions y sont organisées chaque année à partir du fonds de l'Ecole.

Pour espérer faire partie des élus en résidence à la Villa Médicis, il est nécessaire d'intégrer l'école des Beaux-Arts et de réussir les fameux concours de l'Académie, et le plus symbolique d'entre tous, celui de peinture. Alors on se prépare uniquement entre garçons avec plus ou moins de fébrilité, parfois de mesquinerie, dans le cadre des cours dispensés par l'école naturellement, mais également par ceux donnés dans les ateliers des Académies libres, comme ceux de la très réputée Académie Julian. Cette dernière sera d’ailleurs la première à s'ouvrir aux jeunes-femmes et l’Académie Julian comptera parmi ses maîtres-enseignants William Bouguereau qui reste, encore aujourd'hui, le symbole de la "mauvaise peinture", habile certes, mais soi-disant artificielle, dénuée d'inspiration et guidée surtout par le désir de plaire et l'appât du gain.
L’activité emblématique de Bouguereau, peintre-enseignant, Professeur dès 1888 à l'École des Beaux-Arts et à l'Académie Julian avec ses peintures exposées annuellement au Salon de Paris, couvre toute la seconde partie du XIXème siècle, de la Zénobie retrouvée par les bergers de 1850 - son prix de Rome - à la Jeune prêtresse de 1902 - Rochester, Memorial Art Center. Petit mais trapu, les yeux bleus, le visage régulier et le poil dru, le peintre n’avait rien d’antipathique. Il se montra toujours un ami fidèle et un pédagogue attentif, facile d’accès, aux conseils avisés. Sa correspondance traduit une affection profonde à l’égard de son épouse Nelly, et pour se remarier à son élève Élisabeth Gartner il attendit qu’eût disparu sa mère, hostile à ce projet. L'artiste usa également de sa grande influence pour permettre l'accès des femmes à de nombreuses institutions artistiques en France, y compris l'Académie française.

Il faut replacer William Bouguereau dans le contexte de l'époque. Au moment où il prépare le Prix de Rome, la grande nouveauté parisienne est le Combat de coqs de Jean-Léon Gérôme, futur professeur et académicien, autrement dit la tendance s'oriente vers une certaine rupture avec le "Romantisme", avec un retour à l’Antiquité, au nu, au beau drapé, aux couleurs claires et aux volumes précis.
L'enseignement officiel de cette fin de siècle sera donc typique de ce que l'on nomme "art académique". C'est-à-dire une forme d'art qui s'appuie sur la mise en oeuvre de techniques apprises et maîtrisées, où le dessin à partir du nu tient une grande place, le tout au service de sujets à prédominance mythologique et historique.
Les premières participantes au Prix de Rome
Trois ans après la création d'un atelier spécifiquement féminin, l’Atelier Humbert, en 1903, les femmes furent autorisées à se présenter au Prix de Rome et la première à l'obtenir sera Lucienne Antoinette Heuvelmans, Prix de Rome de sculpture avec "La soeur d'Oreste défendant le sommeil de son frère", en 1911.

Pour participer aux concours annuels des prix de Rome de peinture, de sculpture et de gravure, les postulantes, à l'égal de leurs homologues masculins, doivent présenter une lettre de recommandation d'un maître reconnu, être de nationalité française, célibataire, avoir moins de trente ans et avoir réussi l'examen d'admission à l'Ecole des Beaux-Arts. Les étudiantes pourront présenter le concours à plusieurs reprises. Il n'y aura qu'un seul atelier de ce type jusqu'à la fin des années vingt.
Les jeunes femmes artistes prendront en quelque sorte leur revanche dès les années soixante-dix, et deviendront même majoritaires au niveau des effectifs dans les écoles d'art à partir des années quatre-vingt. Mais ladite revanche viendra probablement un peu tard, d'abord parce que le Prix de Rome a été supprimé en 1968, ensuite et en restant lucide, à l’heure de l’art contemporain roi et de l'innovation pour l'innovation, de la désacralisation et de la dérision comme modèle, peut-on toujours parler d'école et d'apprentissage dispensé ? Et que peut-il bien rester des savoirs et des maîtrises techniques ?

Jeunes concurrentes pour le Prix de Rome

Le dernier succès féminin, c'est Mlle Heuvelmans qui vient de le remporter. Elève de Marqueste, elle a eu la fortune exceptionnelle et qui n'était jamais encore arrivée à une femme d'obtenir le premier second Grand Prix. Elle a accepté cette récompense avec une joie toute intime et s'est dérobée aux épanchements : " Je n'ai rien fait de sensationnel et je n'ai rien à dire sinon que j'ai toujours eu un goût pour le dessin, que j'ai travaillé le plus sérieusement possible pendant les six années que j'ai déjà passées aux Beaux-Arts et que j'emploierai les deux années que je puis encore y passer à essayer d'obtenir le Grand Prix de Rome". Ajoutons que Mlle Heuvelmans est elle-même professeur de dessin dans les écoles de la Ville de Paris et qu'elle a obtenu ce titre à l'âge de vingt ans, ce qui constitue encore une remarquable exception. cf/ Fémina, 15 août 1909

Février 1914, dans le parc de la Villa Médicis, les premiers lauréats du Prix de Rome de musique posent en compagnie des sculpteurs, architectes et du graveur André Maillard.
Lucienne Heuvelmans figure en sombre à côté de Lili Boulanger, Prix de Rome de musique.

L'histoire des femmes Prix de Rome commence par celle des « demoiselles Médicis », première génération uniquement composée par Lucienne Heuvelmans et Odette Pauvert. Bien que ces deux artistes aient suivi un parcours normalisé par l'Académie, elles font encore figures d'exception. Dans une société continuant de considérer la femme comme naturellement inférieure et socialement mineure, dans un milieu artistique où domine la certitude de l'existence d'une sensibilité diverse des hommes et innée aux femmes, ces deux femmes artistes parviennent à intégrer l'élite artistique consacrée par l'Académie des Beaux-Arts dont les valeurs artistiques sont paradoxalement fondées sur des critères masculins.

La fin de la seconde guerre mondiale annonce l'apparition d'une nouvelle génération de femmes Prix de Rome. Le nombre relativement plus élevé de ces dernières suggère la normalisation de leur statut ; une émancipation liée à l'évolution du contexte social, les femmes étant enfin reconnues civilement. Si pour l'ensemble de ces lauréates l'enjeu n'est plus tellement de légitimer leur condition de femmes artistes, mais leur reconnaissance comme artiste Prix de Rome dans un milieu artistique toujours plus dominé par l'art moderne, les années soixante marquent une séparation entre les deux dernières générations de femmes Prix de Rome. Séjournant à la Villa Médicis entre les années quarante et cinquante, M. Lavanture (PR 1938), E. Beaupuy-Manciet (PR 1947), F. Boudet (PR 1950) et A. Budy (PR 1959), appartiennent à une génération d'élèves formés dans une École des Beaux-Arts s'ouvrant progressivement à la modernité, mais encore profondément attachée à la conservation d'un enseignement traditionnel. Évoluant dans les années soixante, la dernière génération de Prix de Rome, acquière, elle, une indépendance plus sensible face à l'Académie. J.G Deyme (PR 1963), J. Chévry (PR 1966), A. Houllevigue (PR 1967) et M.Voisin (PR 1968), dernières femmes à monter en loge, sont les représentantes d'une génération marquée par une politique culturelle dynamique, mise en place par le charismatique mais controversé Ministre des Affaires Culturelles, André.Malraux.
Bientôt, et malgré le nouvel esprit indépendant qui s'empare de l'Ecole, la révolution sociale de mai 68, entraîne la suppression brutale du système académique, et, avec lui, du concours du Prix de Rome. Les deux dernières générations de Prix de Rome, doivent alors faire face, à partir des années soixante-dix, aux mêmes nouveaux critères et mécanismes structurant un champ artistique profondément modifié et plus que jamais dépendant de la conjoncture économique.

Delphine Sicurani, « Les femmes Prix de Rome de Peinture et de Sculpture (1911-1968 », mis en ligne le 06 juillet 2009, Consulté le 21 mars 2010.


Villa Médicis, les pensionnaires - fin XIXème

Pas de femmes sur ces clichés. Et pour cause, pour être admis à participer aux concours des Prix de Rome, il faut passer par l'Ecole des Beaux-Arts et les femmes n'y seront admises, d'abord dans quelques cours puis dans des ateliers séparés, qu'à partir de 1896. Pour s'inscrire à l'Ecole elles doivent formuler une requête écrite, être âgées de quinze à trente ans, et présenter un acte de naissance ainsi qu'une lettre de recommandation d'un professeur ou d'un artiste confirmé. Pour les prétendantes étrangères une lettre de leur consulat ou de leur ambassade.
Au XIXème siècle, sous l'égide de l'Etat et de l'académie des Beaux-Arts, les femmes artistes avaient néanmoins la possibilité d'exposer au Salon officiel de Paris leurs tableaux et sculptures sélectionnés par le jury. En 1800, 66 oeuvres sont ainsi présentées, c'est-à-dire environ 12% du total. En 1900 ce chiffre augmente sérieusement et passe à quelques 609 oeuvres, un peu plus de 21% des œuvre de l'exposition. La technique de prédilection des femmes reste cependant l'aquarelle mais la peinture à l'huile gagne peu à peu du terrain.

Les possibilités pour elles de se former réellement commencent au milieu du siècle avec l'ouverture, vers1860, d'un cours professionnel destiné aux femmes par le peintre Charles Chaplin. Il fut suivi par d'autres, notamment Tony Robert-Fleury à l'académie Julian à partir des années 1870. Cependant les cours n'étaient pas aussi complets que ceux destinés à leurs homologues masculins : les horaires étaient différents, les professeurs moins nombreux, les études d'après nu non autorisées, et les cours d'anatomies absents.
En 1881, Hélène Bertaux-Pilate, sculpteur et belle-fille du sculpteur Pierre Hébert, fonda l'Union des femmes peintres et sculpteurs qui mena une campagne énergique en faveur de la mixité à l'Ecole des Beaux-Arts de Paris. L'association obtint gain de cause en 1896, mais partiellement, puisque les cours de dessins d'après nature et les concours des prix de Rome restaient exclusivement réservés aux Hommes.

La carte postale et la photo anciennes



Décembre 1872 voit la parution des deux premières cartes postales françaises. Dès 1889 la production de ces cartes atteint déjà quelques millions d'exemplaires par an.
La Belle Époque verra des dizaines d'éditeurs se partager un marché considérable : 600 millions de cartes auraient été éditées en France pour la seule année 1905. On pourrait même considérer que cette carte postale devient l'expression privilégié d'un nouvel art de la correspondance. En tout cas elle offre, hier comme aujourd'hui, une source de documentation irremplaçable pour illustrer de nombreux aspects de la vie sociale et culturelle.

Tous les sujets peuvent devenir prétexte à édition, y compris à de très faibles tirages. De nombreux moments de la vie quotidienne d'une France encore rurale et artisanale sont de cette manière conservés. En ville, ce sont les commerçants et artisans qui se font photographier devant leur boutique ou dans l'exercice de leur activité...
Bien entendu à Paris, les oeuvres exposées au Salon - la manifestation culturelle par excellence - font partie des sujets favoris des éditeurs ainsi que du public et, avant 1914, les reproductions des peintures de nu féminin, sous forme de cartes postales sont autant répandues, voire davantage, que tous les autres genres. Elles sont incontestablement appréciées par de nombreux amateurs, sans doute pas insensibles aux charmes évocateurs des modèles. Il faut dire aussi que la censure veille, ce qui est montrable et toléré en peinture reste toujours interdit en photographie, celle-ci étant jugée inconvenante par son trop grand réalisme.
La composition des peintures reproduites apparaît la plupart du temps comme assez élémentaire avec des poses proche de celles de la vie quotidienne, montrant par exemple le lever ou le coucher, dans le but essentiel de mettre en valeur d'une manière plus ou moins érotique un joli corps de femme. Celui-ci, plus souvent de face que de dos, est naturellement traité de manière figurative et occupe généralement la place centrale du tableau. Le décor est bourgeois selon le goût de l'époque mais il sait parfois aussi être exotique, parfois sobre, et se situer en pleine nature, lorsque la femme devient Odalisque ou Divinité. Pour plus de réalisme, les cartes sont quelquefois colorisées.

A bien observer la quantité innombrable de ces cartes postales qui représente des peintures de femmes dévêtues - tous tableaux officiellement exposés aux Salons de Paris - on peut remarquer plusieurs éléments récurrents :
- Les modèles sont naturellement potelés, sans sophistication excessive, jeunes, parfois même très jeunes et, généralement, d'une autre génération que le peintre.
- Ils sont de sexe féminin avec un physique toujours avantageux ; la pose choisie par l'artiste - presque toujours un homme - est rarement dynamique et le plus souvent lascive et indolente.
- Le sujet se présente exceptionnellement de dos et fréquemment allongé plutôt que dans une autre attitude ; les scènes de réveil, d'étirement, de bain et de toilette sont largement privilégiées.
Le décor assez sobre, composé surtout de draperies, de tentures, de coussins, de sofas, reste représentatif de ce goût fin de siècle. Lorsque le peintre choisit de montrer quelques allégories, la scène se situera alors en pleine nature.
- Le recto de la carte, réservé à la correspondance, n'est que très rarement écrit, quant au verso, outre la belle femme nue accompagnée du fréquent monogramme de l'éditeur, figure généralement un numéro de référence et l'année d'exposition de la peinture au Salon de Paris, le titre de l'œuvre ainsi que le nom de son auteur. A noter : Toutes ses informations peuvent paraître en plusieurs langues, y compris en russe, ce qui confirme la dimension internationale des Salons parisiens.
- Sans doute par crainte de dévoiler un quelconque penchant lubrique un peu voyeur, la plupart du temps les cartes ne sont pas affranchies et n'ont pas circulé, elles sont plus sûrement conservées ou collectionnées.

Toutes ces reproductions ne manqueront pas de soulever la question de la localisation actuelle des peintures originales qui demeurent aujourd'hui si peu montrées. Rares en effet sont celles accrochées aux cimaises des musées, elles figurent plus certainement dans les réserves... Quant aux propriétaires particuliers ? A l'heure de l'art moderne et contemporain peut-être en ont-ils tout simplement honte. Cet art est sans doute jugé comme trop peu cérébral, trop représentatif, et bien trop proche du vulgaire hédonisme.

mardi 21 février 2012

Etudes académiques


L'apprentissage :
Dès le XVIème siècle, l'anatomie fait partie intégrante de l'éducation des jeunes artistes et elle est enseignée dans les académies, prémices de nos modernes écoles d'art, à partir du dessin d'après l'antique et à partir de la dissection des cadavres. Des études préalables aux dessins analysent en détail toutes les parties du corps afin de bien comprendre comment s'articule le mouvement, afin de bien saisir aussi les nuances et les proportions.
La mythologie fournit donc en partie les thèmes de mise en scène du corps nu à travers : Apollon, Ariane, Persée délivrant Andromède, Diane et Actéon ou encore Mars et Vénus. La bible constitue une autre source d'inspiration avec Adam et Eve, Loth et ses filles, David et Bethsabée, Suzanne et Joachim, les scènes de martyr… Les représentations de nus restent étroitement liées à la peinture d'histoire qu'elle soit antique, biblique ou mythologique. Dans l'art religieux, le nu, banni par le Concile de Trente (1545-1563), ne tient finalement qu'une place modeste.
A l'aube du XXème siècle, une troisième source deviendra de plus en plus communément utilisée et appréciée à savoir : la représentation de scènes reflétant une certaine intimité du quotidien de la femme, comme son lever, sa toilette, son bain...


A l'Ecole des Beaux-Arts, dans les académies privées, l'étude du corps humain se fait couramment par la copie que l'artiste débutant, à défaut de moulages et d'amphithéâtre de dissection, trouve dans des recueils de dessins et gravures spécialement prévus à cet effet et qui font office de manuels de morphologie. La référence aux canons antiques demeure néanmoins la règle de l'enseignement académique et l'apprentissage du dessin d'après modèle vivant - d'abord un nu exclusivement masculin aux Beaux-Arts jusqu'à la réforme de 1863 - et l'étude de l'antique constituent d'ailleurs des disciplines majeures durant tout le XIXème siècle.
Cet art du nu, à partir de l’instant où il devient le thème central du tableau, peut parfaitement se définir comme un genre particulier et bien des oeuvres occidentales, de la sculpture, mais aussi de la peinture, comportent dans leur composition des nus.

Les nus néo-classiques vont prendre un caractère moral dans des mises en scène théâtrales plus ou moins dramatiques, avec drapés et effets d'éclairage recherchés ; des corps à l'anatomie idéale exaltent courage, patriotisme ou encore des sentiments héroïques. Les attitudes des personnages sont arrangées de manière à ne rien montrer qui puisse offenser la pudeur, beaucoup de peintres utiliseront d'ailleurs les ressources du drapé pour habiller et rendre plus présentables les parties sensibles de leurs figures.
Dans la seconde moitié du XIXème, afin de satisfaire les amateurs bourgeois plus friands de belles anatomies que de grand style, le nu devient essentiellement féminin et moins académiquement traditionnel pour gagner en frivolité. Toilette, bain, habillage et soin des cheveux, donnent ainsi accès à une intimité dévoilée où se confondent étroitement pudeur, morale, esthétique ; où le spectateur masculin de l'époque découvre finalement une espèce d'interdit. Les artistes, avec le temps, seront nombreux à abandonner le support jugé fastidieux de l'Histoire pour se rapprocher, entre autre, de scènes exotiques orientales permettant des compositions plus libres, par ailleurs assez souvent proche d'une forme d'érotisme autour de différents accessoires comme le drapé-voile transparent, la chevelure, le narguilé ou le miroir.
Dès la fin du XIXème siècle, véritablement celui de l'âge d'or du nu féminin tant par le nombre que par la diversité des représentations, le modèle vivant cessera progressivement d'être représenté pour lui-même ou dans son rôle et deviendra alors un prétexte d'étude où l'esthétique pure prendra peu à peu l'avantage sur le sens intrinsèque du tableau. Ici alors commencera l'art moderne et se terminera sans doute l'art académique.


Atelier Gérôme, fin de siècle

L'Atelier de peinture dirigé par Jean-Léon Gérôme à l'Ecole des Beaux-Arts de Paris au tout début du XXème siècle.
A remarquer : Le mur palissade qui sert à essuyer les pinceaux et le massier, responsable d'atelier, qui présente avec facétie le modèle, de l'autre côté, un étudiant a ouvert son parapluie. Le contraste est saisissant entre la femme menue et blanche et les fiers "rapins" en tenues sombres qui l'entourent.
On prend la pose bien sûr mais l'ambiance paraît plutôt décontractée, on fume au premier plan, on a retroussé le bas du pantalon - pour faire voir ses bottillons ? Un autre, assis en tailleur, montre la mallette du peintre, sans oublier de chaque côté les chevalets.
Depuis peu, les modèles peuvent être également du genre féminin et les femmes quant à elles obtiennent l'autorisation d'entrer dans un atelier qui leur est tout spécialement destiné en 1900. Celui-ci, sera codifié comme ses homologues masculins.

Le second document, assurément postérieur, nous montre la même cloison en bois toujours aussi maculée de peinture et un joyeux désordre avec des élèves encore très élégants portant gilets, cravates, noeuds fantaisies... Un d'entre-eux, sous le regard attentif du professeur, termine un portrait curieusement sans rapport avec la séance de nu académique.
En règle générale, dans les écoles d'art à Paris comme en province, le cours de nu académique était incontournable et les séances de pose, qui duraient plusieurs heures, avaient lieu une fois par semaine. Le modèle avait droit, sous peine de crampes, à quelques interruptions de ladite pose à condition bien entendu de retrouver la position initiale ; pour se faire, des marques sur le sol ou sur la table tournante et les indications des étudiants lui facilitaient la tâche.
Comme on peut le constater, les études peintes respectent les règles anatomiques, l'interprétation personnelle n'est pas encore encouragée, on est là avant tout pour apprendre le "métier". (voir : Travaux d'élèves)



Photos souvenir. Les élèves des Beaux-Arts posent dans leur atelier, dans les années 1870, devant une galerie de portraits, d'études et de palettes accrochés au mur. Difficile de reconnaître les étudiants des professeurs, tous ont l'air bien "bourgeois" et certains sont d'âge mûr, ce qui ne les empêche nullement de nous présenter avec malice "Oscar", le squelette destiné aux études d'ostéologie et des proportions, dans une attitude de relaxation très confortable. Les étudiantes devront patienter encore quelques années afin d'être admises à l'école.
Pour l'heure, seul le modèle, pour le plus grand plaisir des futurs artistes qui apprécient visiblement de figurer en sa compagnie sur la photo, peut être du genre féminin. Ci-dessous, probablement le même atelier mais quelques années plus tard.

La mixité des Beaux-Arts


Vers la mixité des Beaux-Arts
A partir de 1896, les jeunes femmes auront la possibilité de fréquenter la bibliothèque de l'Ecole des Beaux-Arts de Paris et pourront aussi assister aux cours magistraux de perspective, anatomie et histoire de l'art, à condition qu'elles aient bien rempli les conditions d'admission.
Elles doivent formuler une requête écrite, être âgées de quinze à trente ans, et présenter un acte de naissance ainsi qu'une lettre de recommandation d'un professeur ou d'un artiste confirmé. Pour les prétendantes étrangères une lettre de leur consulat ou de leur ambassade.
Cette ouverture de l'Ecole, relativement peu sélective, est très appréciée non seulement pour son émulation mais surtout pour son prix de revient. Rappelons qu'alors, seuls les ateliers ou académie privés offraient quelques possibilités d'études aux femmes-artistes mais avec des coûts élevés, généralement deux fois supérieurs à ceux demandés aux étudiants masculins.

C'est en 1900, onze ans après la première demande formelle d'admission aux Beaux-Arts déposée par Madame Bertaux, que les femmes pourront entrer dans un atelier de l'Ecole ; atelier qui leur sera tout spécialement destiné. Celui-ci, sera codifié comme ses homologues masculins et réglé dans ses moindres détails par des instructions réparties en quarante deux articles.
Pour suivre la tradition établie, un massier ou plus exactement une massière, représente les intérêts des élèves de l'atelier. Cette responsable dispose de certains pouvoirs, elle est habilitée à entretenir un lien entre les étudiantes et le professeur Humbert, membre de l'Institut, à lui poser des questions, à risquer quelques objections. Le choix des modèles et de leurs attitudes, plus ou moins longues en fonction de l'étude envisagée, étaient déterminés à la majorité, la massière se contentant d'officialiser matériellement le choix par des marques à la craie sur l'estrade réservée à la pose. Celle-ci pouvait encore intervenir lors d'une éventuelle concurrence concernant la meilleure place, la meilleure lumière pour dessiner, pour peindre.
Trois ans après la fondation de cet atelier, en 1903, les femmes furent autorisées à se présenter au Prix de Rome et la première à l'obtenir fut Lucienne Antoinette Heuvelmans, Prix de Rome de sculpture avec "La soeur d'Oreste défendant le sommeil de son frère", en 1911.
Il n'y aura qu'un seul atelier de ce type jusqu'à la fin des années vingt. Les jeunes femmes artistes prendront en quelque sorte leur revanche dès les années soixante-dix, et deviendront même majoritaires au niveau des effectifs à la fin des années quatre vingt.

Atelier Sicard, École des Beaux-Arts vers 1917
Lorsque Madeleine Fessard entre aux Beaux-Arts en 1917, les femmes n’y sont alors admises qu’avec de nombreuses restrictions et il s’agit d’un cursus encore rare pour une femme.
En effet, créée en 1796, l’École des Beaux-Arts ne s’ouvrit aux femmes qu’en 1897, mais sans qu’elles puissent toutefois accéder aux ateliers et aux concours.
Dans les années vingt, le nombre de leur entrée « en loge » pour le prix de Rome reste limité, et les conditions qui leur sont faites ne sont pas toujours équitables. L’accès aux mêmes ateliers que les élèves hommes leur reste notamment fermé pour « inconvenance ».
Madeleine entre en 1917 dans l’atelier de Marqueste. Elle est également mentionnée parmi les élèves femmes de Ségoffin. Elle figure aussi sur la liste des élèves de François Sicard (1862 - 1934), prix de Rome, qui sera le créateur du Monument aux Morts de Fécamp (1923). Reçue à titre temporaire le 13 mai 1921, elle le sera à titre définitif le 8 décembre 1924, grâce à une troisième seconde médaille au concours de la figure modelée.






Cf/ L'Entrée des femmes à l'Ecole des Beaux-Arts 1880-1923 - Marina Sauer - énsba-a 1991 / Les Musées de Haute-Normandie

Une séance de modèle vivant dans un atelier de l'académie Julian.

Certes, en écrivant cette délicate comédie, la Massière, que l'Illustration va publier dans un de ses plus prochains numéros, M. Jules Lemaitre n'eut pas un seul moment la pensée de donner une pièce à clef, et la malignité des spectateurs chercherait en vain à mettre un autre nom, connu, sur la figure de Marèze, bon peintre et brave homme, en dépit de sa pointe de fatuité. Toutefois, les artistes, tout Parisien ayant côtoyé, si peu que ce soit, le monde des arts, ont reconnu sans peine le cadre pittoresque et amusant où se déroule une partie de la pièce: «l'atelier Justinien» du premier acte, c'est, bien évidemment, l'un des ateliers Julian.

Les cinq massières des ateliers Julian. Photographies Bouffar.

Et on l'a si bien vu qu'on a, dès le premier jour, rappelé que la principale interprète de la Massière était dans des conditions excellentes pour jouer au naturel toute une partie du rôle. Mlle Marthe Brandès, en effet, fut elle-même élève de l'académie Julian.
Elle eut sa place, son tabouret de bois grossier, son chevalet, dans le demi-cercle des jeunes filles, plus ou moins appliquées, groupées autour de la table à modèle. Elle connut, bien avant de jouer leur rôle au théâtre, des massières, de vraies massières, qui lui arrangeaient ses petites natures mortes, au besoin lui corrigeaient ses dessins, la conseillaient, si elle le demandait, remplissaient, avec zèle, en bonnes camarades, le rôle de «moniteurs».
Elle passa. Brilla-t-elle ?
Je le demandais l'autre jour à M. Rodolphe Julian lui-même, le fondateur de cette école libre qui, autant, plus peut-être, que l'officielle École des beaux-arts, a contribué à faire de Paris un centre unique pour l'enseignement artistique, a dérivé, capté les courants qui portaient jadis les jeunes artistes désireux d'apprendre leur métier vers l'Italie, vers l'Allemagne, à Munich, à Dusseldorf.

Quels souvenirs charmants à feuilleter que ceux de M. Julian ! Que de gracieuses, d'exquises silhouettes il évoque, rien qu'à prononcer les noms de quelques-unes de ses élèves : de la plus tapageusement célèbre de toutes, Mlle Bashkirtsef, à la princesse Terka Iablonovska, aujourd'hui Mme Maurice Bernhardt; de Mme Jules Ferry à Mlle Canrobert, qu'accompagnait souvent le maréchal lui-même ; de Mlle Carpeaux, la fille du génial sculpteur, à Mlle Cécile Baudry, héritière aussi du nom d'un grand artiste; et Mme la princesse Murat, et Mme Henri Rochefort, condisciples à l'atelier de MM. Bouguereau et Gabriel Ferrier, rue de Berri; la comtesse Demidoff et miss Maud Gonne: Mlles Basponi, nièces de la princesse Mathilde, et Mlle Pauline de Bassano, mêlées à des femmes peintres célèbres d'aujourd'hui ou de demain, à Mme Jacques Marie, à Mme Baudry-Saurel, femme aujourd'hui de M. Julian et professeur à l'école, à Mlle Louise Breslau, à cette exquise Mlle Dufau.
Mais Mlle Marthe Brandès, insistai-je.
Elle resta, dit M. Julian, peu de temps notre élève. Elle eut pour maître Cot, l'auteur de la populaire Mireille, et je crois, Tony Robert Fleury. Elle était douée, en vérité. Peut-être courait-elle trop de lièvres à la fois, travaillant de front le chant, la peinture, la comédie. Elle eut son prix au Conservatoire. Elle nous quitta. Mais elle était délicieuse. Au milieu même de cette phalange de jeunes et jolies Américaines qui emplissait l'atelier, elle rayonnait. Elle était la beauté, le charme, le printemps !
Et, ainsi, l'on pourrait dire, paraphrasant l'épitaphe antique «Elle dessina et plut». G. B.


lundi 20 février 2012

L'ART ACADEMIQUE


De tout temps l'homme a aimé contempler un joli corps de femme, avec ou sans artifices.
Et le peintre, ou le sculpteur, aura toujours l'avantage sur le photographe de pouvoir regarder deux fois son modèle, de l'observer en nature et en train de se faire.
Dès lors, quoi de plus naturel que de se le représenter en peinture et l'artiste du XIXème siècle s'impose comme un incontestable spécialiste du genre. La femme a perdu ses formes avec l'arrivée de l'art moderne, les nus académiques, désormais jugés vulgaires, ont été mis à l'index. Doit-on continuer a en avoir honte ? La question semble redevenir d'actualité.

On entend généralement par "nu académique", d'abord un grand dessin abouti, ensuite une peinture ou encore une sculpture représentant un nu ou, rarement, plusieurs. L'académie se fait d'après un modèle vivant et c'est par ailleurs le nom donné aux cours de nu dispensé obligatoirement jusqu'en 1970 dans les écoles des Beaux-Arts. L'exécution du nu est soignée et naturellement toujours figurative. Les poses sont variées et la référence originelle à l'antiquité prendra avec le temps une importance toute secondaire.
De l'Antiquité en passant par la Renaissance, la représentation du corps a toujours occupé une place importante dans l'enseignement et le goût artistique occidental. Le dessin d'après modèle vivant devient d'ailleurs au XIXème siècle la dernière étape du cursus de l'école des Beaux-Arts.
Dès la Renaissance, l'anatomie, indissociable du nu, fait partie intégrante de l'éducation des artistes qui est dispensée par les académies, ancêtres de nos écoles d'art. Habituellement, l'apprentissage commence à partir du dessin d'après l'antique, complété par celui du modèle vivant et, dans la mesure du possible, par l'observation de la dissection des cadavres. Afin de mieux saisir toutes les subtilités de la morphologie humaine, du mouvement, des études préalables à la représentation de l'académie analysent en détail toutes les parties du corps avec une attention particulière concernant les muscles et les articulations.
Le nu académique lorsqu'il est dessiné peut parfaitement se suffire en lui-même, par contre la mythologie fournit en principe les thèmes de mise en scène du nu peint à travers : Apollon, Ariane, Persée délivrant Andromède, Diane et Actéon ou encore Mars et Vénus. La Bible constitue une autre source d'inspiration avec Adam et Eve, Loth et ses filles, David et Bethsabée, Suzanne et Joachim, les scènes de martyr… Initialement, les représentations de nus sont étroitement liées à la peinture d'histoire qu'elle soit antique, biblique ou mythologique. Au XIXème siècle, les orientalistes se distingueront avec des odalisques plus ou moins dévêtues sans oublier les scènes de Harem et de Hammam.

L'étude du corps se fait donc d'après nature mais aussi par copie des œuvres d'art antique que l'artiste débutant, à défaut de moulages, trouve dans des recueils de reproductions spécialement prévus à cet effet, et qui font office de manuels de morphologie. Dès sa création, l'école des Beaux-Arts fait référence à ces canons classiques qui constitueront la règle de son enseignement jusqu'au milieu du XXème siècle. A l'Ecole des Beaux-Arts de Paris mais aussi dans celles de province, un style et une personnalité dominent au XIXème siècle : le néo-classicisme et Jean-Auguste Dominique Ingres.
L'enseignement d'Ingres donnait comme modèle un idéal de beauté classique atteint par l'étude et la mise en forme fidèle des sources antiques, ce qui va de pair avec l'affirmation de la primauté du dessin sur la couleur, de la symétrie et de la clarté de la composition sur le mouvement. Les professeurs s'efforceront de maintenir cette tradition néoclassique.
Cependant, parallèlement, des artistes indépendants comme les réalistes, les impressionnistes, ou même certains "officiels", c'est-à-dire achetés par l'Etat et exposant avec succès au Salon, vont s'engager dans d'autres voies. Parmi ces voies, l'une d'entre elles se confondant avec l'académisme, connut un large succès à la fin du règne de Louis-Philippe, sous Napoléon III et la Troisième République, il s'agit de la mouvance dite éclectique. Ces partisans veulent s'inspirer de toutes les époques, de l'Antiquité, de l'Orient, du Moyen-Âge comme de la Renaissance, sans aucune hiérarchie, et reprendre dans leurs oeuvres les costumes, les décors, avec toute la précision archéologique nécessaire. Le nu ne sera donc plus forcément Vénus mais pourra devenir Cléopâtre ou Odalisque. Les artistes qui plaisent alors à la noblesse, à la haute bourgeoisie, à l'Etat, appartiennent surtout à cette tendance stylistique de l'éclectisme, que l'on nommera ensuite péjorativement et par dépit : l'art pompier.
Suivant un certain goût et sans négliger l'importance de la demande, la fin du XIXème et le début du XXème siècle atteindra un sommet dans la production de nus et la femme deviendra la plupart du temps le sujet central du tableau. Toutes les autres références - préfabriquées - ne seront finalement et probablement là que pour assoir l'alibi moral.


En 1850, les modèles sont alors couramment payés un franc de l'heure, c'est-à-dire environ trois euros d'aujourd'hui. Vers 1875, la pose ordinaire de quatre heures coûtera environ cinq francs pour les artistes mais seulement trois pour les écoles d'art, à la condition toutefois que celles-ci emploient le modèle régulièrement. La photographie, en passe de se démocratiser, commencera ensuite à concurrencer sérieusement les modèles vivants, au moins dans certains ateliers privés.

Une autre enquête datée de 1901 recense entre 800 et 850 modèles professionnels, très souvent d'origine italienne. Ils résident essentiellement dans les quartiers de Saint-Victor à Paris. Les femmes, de préférence avec des formes généreuses, sont alors payées cinq francs, 40 €uros actuels, pour une séance de quatre heures et les hommes, moins recherchés, quatre francs pour la même durée.

Selon l'expression d'alors, on ne trouve pas de cuisse de nymphe à moins de un franc de l'heure, alors qu'un Jupiter olympien peut se négocier autour de quinze sous, mais un modèle mâle pose à tout âge tandis que la beauté d'un modèle féminin est forcément éphémère. Les nobles vieillards à grandes barbes blanches restent toujours recherchés afin d'incarner quelques Dieux, alors que les femmes aux formes fluettes ou bien celles qui évoquent les rondeurs à la Rubens doivent nécessairement être assez jeunes.
Par ailleurs et pour la petite histoire, avant la séance de pose, il n'est semble-t-il pas rare de demander au modèle de bien vouloir faire un brin de toilette...

C'est le professeur, éventuellement le massier, qui détermine la pose du modèle, plus exceptionnellement des modèles, celle-ci peut être plus ou moins longue en fonction du cours - études rapides sous forme de croquis ou dessin académique plus poussé. La salle d'étude ou l'atelier est toujours munie d'un paravent avec peignoir afin que le modèle puisse se dévêtir en toute "pudeur" et hors des regards, une estrade ou une table tournante sans oublier un radiateur d'appoint avec parfois quelques éclairages complètent l'équipement.


Mis à part ces modèles professionnels qui prennent la pose dans les écoles et les ateliers privés des artistes afin de gagner leur vie ou, à défaut, arrondir leur fin de mois, il arrive que d'autres prêtent gracieusement leur concours. Ici, il s'agit la plupart du temps de l'épouse ou de la compagne de l'artiste qui se trouve mise à contribution, elle pose d'abord pour faire plaisir, parfois par amour, mais rarement par agrément. En effet tenir ladite pose sans bouger, au bout d'un certain temps, devient une opération des plus fastidieuse, désagréable même et les hommes qui se prêtent au jeu sont extrêmement rares. Force est donc de reconnaître que jusqu'à l'aube des Années-Folles et dans une moindre mesure après, l'art se conjugue essentiellement pour l'auteur au masculin et pour le modèle au féminin.


Jules Garnier 1873

Ce tableau semble bien représentatif du goût qui s'annonce pour la représentation de la nudité ostentatoire. Ici, il ne s'agit pas de la Vénus de Cabanel mais la pose est tout autant langoureuse.
L'artiste joue sur les contrastes et pense mettre en valeur le beau corps blanc de l'européenne par opposition à la présence des indiens à la peau noire.
Scène incongrue : Que fait-elle, que font-ils ici ? L'air nonchalant plus qu'hagard, elle regarde le spectateur, eux - les sauvages - l'observent médusés plus qu'admiratifs. A n'en pas douter, la référence à quelques faits historiques ou mythiques existe bel et bien mais le spectateur d'aujourd'hui - et peut-être aussi celui d'hier - l'ignore. Profanes, nous ne voyons qu'une belle femme allongée qui ne cache rien, pour notre plaisir sûrement et, finalement, que ferions-nous à la place des deux indiens ?
A noter, la calligraphie de la signature bien lisible et de grande taille, usage assez courant à l'époque.

Tony Robert-Fleury 1838-1911 - Le dernier jour de Corinthe, vers 1870
Huile sur toile 400 X 600 - Paris, musée d'Orsay

La femme devient fréquemment le thème central de l'oeuvre, sous forme d'allégorie ou, plus prosaïquement, dans sa vie quotidienne. Mais la peinture d'histoire ne disparaît pas totalement, elle continue à interpréter les événements qui ont marqué le présent et surtout le passé, aussi quand le sujet le permet, elle ne se prive pas de mettre en scène des nus. Le nu féminin, quel qu'en soit le prétexte, reste l'un des thèmes favoris du XIXème siècle et l'érotisme qui s'y rattache se distingue souvent dans la peinture d'histoire par des scènes de violence et de cruauté mais le martyr se doit d'être éternellement beau et digne.
Le monumental tableau de Tony Robert-Fleury, Le dernier jour de Corinthe, est un reflet plus romantique que crédible de la catastrophe. Pourquoi les jeunes femmes sont-elles dénudées, sortent-elles d'un lupanar ? Plus sûrement elles sont là pour plaire à tout un public d'amateurs - averti !

Paul Jamin (1853-1903), Le Brenn et sa part de butin, huile sur toile 162 x 118
La Rochelle, musée des Beaux-Arts

Il n'est pas certain que la scène ait un jour figuré dans les manuels scolaires - trop triviale, trop gauloise, qu'en penseraient les écoliers et les garçons surtout ! Pourtant, bien qu'idéalisé le Brenn avec sa part de butin, autrement dit le chef qui en plus de l'or et de l'argent se réserve de jeunes romaines brunes ou rousses, appétissantes à souhait et déjà prêtes, a probablement du exister. Notons que le fier gaulois avec son sourire satisfait et sa lance sanguinolente ne manque pas d'appétit.
"Rome est enfin prise. Tout ce qu'elle contient est aux Gaulois, tout : or, vin, femmes... Le Brenn ou Brennus, c'est-à-dire le chef est fatigué. Il a beaucoup tué, beaucoup incendié mais toutes ces femmes splendides, ces aristocrates lisses et parfumées sont à lui, il peut en faire ce qu'il veut, tout ce qu'il veut..." Cavanna, Nos ancêtres les Gaulois, Ed. Albin Michel

Dagnan-Bouveret 1852 1929 - Atalante victorieuse 1874 - Musée de Melun

Victorieuse ou pas, l'Atalante de Dagnan-Bouveret possède de belles fesses, bien rondes, et c'est sans doute vers elles que se dirigera le regard du spectateur. Le ruban orange assorti à la chevelure est pas mal non plus, et tant pis pour l'histoire !
Dans la mythologie grecque, Atalante est une héroïne présente dans deux traditions différentes.
Dans la version arcadienne, elle est la fille d'Iasos, roi du Péloponnèse. Comme Iasos ne voulait pas de fille, elle fut abandonnée à la naissance et recueillie paraît-il par une ourse dans la forêt du Pélion. Des chasseurs la trouvèrent et l'élevèrent ; elle devint une chasseresse redoutable. Elle fit, comme Artémis, vœu de virginité. Ainsi périrent sous ses flèches deux centaures, Hyléos et Rhoécos, pour avoir tenté d'abuser d'elle.
Dans la version béotienne, elle est la fille de Schoenée, fils d'Athamas. Son père souhaitant la marier, elle ne voulut prendre pour époux que celui qui pourrait la battre à la course ; ceux qui échoueraient seraient mis à mort. De nombreux prétendants moururent ainsi, jusqu'à ce que se présente Hippomène, qui aidé d'Aphrodite, laissa tomber dans sa course trois pommes d'or données par la déesse. Curieuse, comme bien des femmes, Atalante s'arrêta pour les ramasser et fut de cette façon devancée à l'arrivée. Mais après, comme la mythologie aime les suites dramatiques, les amants s'étant étreints dans le temple de Déméter, ils furent changés en un couple de lions attachés au char d'Aphrodite.


Marc-Verat@wanadoo.fr

mardi 7 février 2012

Hommage à Bouguereau



De par la qualité de ses enseignants, l'Académie Julian acquit rapidement une certaine renommée. Elle put ainsi présenter ses élèves au Prix de Rome tout en servant de tremplin à ceux qui ambitionnaient d'exposer dans les Salons ou de se lancer dans une carrière artistique.
Tout comme dans les écoles des Beaux-Arts, les étudiants sont souvent livrés à eux-mêmes, il n'est pas rare que le professeur ne fasse qu'une courte apparition - l'apprentissage se faisant finalement autant à travers l'émulation et les conseils entre élèves. La discipline n'était pas des plus rigoureuse et, à l'occasion, les élèves se faisaient remarquer par leurs canulars et leurs défilés dans les rues, les scandales se succédant jusqu'en pleine Belle Époque.


Le document représente sans doute le cours de Monsieur Bouguereau rue du Dragon, l'ambiance est bon enfant et les "rapins" ont pris la pose pour la photo-souvenir dans un coin de l'atelier, vers les portes-manteaux et la galerie de portraits. Le modèle, la seule femme de l'assemblée, est souriante et bien entourée, elle paraît nullement gênée par sa nudité et tient familièrement un étudiant par le cou avec la main posée sur la tête d'un autre. Une énigme, le jeune garçon sur la gauche en uniforme ? A noter aussi : le seau à charbon pas loin du tuyau de poêle et de l'estrade où pose habituellement le modèle.
L'Académie Julian sera fermée pendant la Seconde Guerre mondiale et deux de ses ateliers vendus en 1946.
L'atelier de la rue Vivienne réservé aux femmes se situe au premier étage. C'est l'épouse de Rodolphe Julian, Amélie Beaury-Saurel qui en avait pris la direction. Les tarifs pour les femmes étaient le double de celui des hommes au rez-de chaussée.

vendredi 3 février 2012

Vive la peinture et la contestation !



L'achat d'oeuvres par les institutions permet à une poignée d'artistes de ne se consacrer qu'à leur art. Pour d'autres, plus nombreux, une représentation imagée et traditionnelle de l'environnement constitue l'assurance d'un gain régulier.
Toutefois, et malgré ces positions opposées, la plupart des artistes souhaitent que leurs oeuvres soient exposées, reconnues et si possible rémunérées, et il demeure difficilement contestable que la reconnaissance sociale de tout créateur vivant consiste aussi pour celui-ci à trouver sa place sur le marché.Le pouvoir, qu'il se prétende socialiste ou libéral, cherche naturellement à être suivi et obéi, à défaut d'être toujours soutenu ; artistes et oeuvres d'art peuvent constituer des auxiliaires intéressants.
En fonction de leurs sensibilités, les artistes sont souvent amenés à se déterminer par rapport à ce pouvoir, qu'il soit politique ou commercial, qu'ils choisissent de le servir, de le contester ou de l'ignorer. Ils sont également appelés à se positionner à l'égard de l'art dominant de leur époque, c'est-à-dire actuellement la tendance conceptuelle et minimaliste.En France, ces relations prennent une acception toute particulière : révolutions ou, plus exactement, changement de majorités ne sont pas rares et il paraît assez difficile d'échapper au débat sur l'avenir politique et social du pays, notamment en regard de l'héritage de 1789 et de ses principes.
Avant la Révolution, les artistes échappent difficilement au statut de courtisan ou aux commandes de l'Eglise. En tout cas, pour les plus reconnus d'entre eux. Après, et en particulier au XIXème siècle, ceux qui relèvent de l'Académie, sont plus ou moins au service du Second Empire puis de la Troisième République. Désormais, pour être soutenu, il faut appartenir au courant conceptuel-minimaliste.


La République entérine ainsi une tradition française, déjà mise en oeuvre par le pouvoir royal, poursuivie par l'Empire, et qui est marquée par l'engagement de l'Etat en faveur de l'art et de la culture. Dès lors, cette spécificité nationale ne cessera plus de susciter débats etcontroverses.Les premiers musées publics, la plupart du temps issus de la Révolution de 1789, ont été créés dans le but de montrer au plus grand nombre les principales oeuvres des collections royales. Leurs fondateurs poursuivaient un objectif pédagogique, moral, mais aussi politique. Ils se plaçaient surtout dans une perspective historique, ce qui écartait en règle générale la présentation d'oeuvre d'artiste vivant.
La seconde moitié du XIXème siècle verra émerger la notion d'art "contemporain" qui contribuera involontairement à l'apparition d'une avant-garde, groupe extrêmement restreint et en marge de l'art officiel d'alors : l'académisme.
Mais en 1929, l'isolement de ces artistes d'avant-garde commencera à se briser avec la fondation du musée d'art moderne de New York, conçu pour les recevoir. Depuis, les institutions de ce type se sont multipliées dans le monde occidental, en exerçant bien entendu une action déterminante à travers les achats et les expositions, ce qui a fini par établir, puis officialiser, une nouvelle norme esthétique notamment caractérisée par la marginalisation de la peinture.A partir de là et dans son principe, la politique française du mécénat public en épousant fidèlement ce nouveau modèle, ressemble ainsi étrangement à ce qu'elle était à la fin du XIXème siècle. A l'influence tendancieuse des Salons de la Troisième République et du Second Empire s'est substitué le réseau des Fonds et Centres d'art, toutefois avec le public en moins - détail d'importance - qui hypothèque grandement la légitimité de l'art officiel de maintenant : le conceptuel-minimaliste.

On peut également noter que l'exception culturelle française dont on entend parfois parler, en tout cas dans le domaine des arts plastiques, semble toute relative ; les musées d'art moderne et contemporain - Centre Pompidou, FRAC - n'ont finalement fait que reprendre, plus ou moins consciemment, les tendances proposées par le musée new-yorkais.Aujourd'hui il faut bien admettre que l'objectif initial de démocratisation de la culture, impulsé sous le ministère Malraux, a fini par s'essouffler. Ainsi, dans le domaine des Arts Plastiques, force est de constater le peu d'attention accordée aux oeuvres contemporaines par le public. Il est vrai que l'avant garde en rompant avec l'Art au sens propre du terme, rend les impostures toujours possibles et le manque de repères évident.
Néanmoins les éléments de continuité dans l'orientation de la politique culturelle, malgré les changements de ministres, sont tout à fait remarquables déjà et sans doute à cause de la permanence des groupes de pression. On peut penser que les mêmes professionnels reconnus et bien en place souhaitent rester, quelle que soit la tendance, gauche ou droite, les mêmes interlocuteurs incontournables et privilégiés des pouvoirs publics.
Ces artistes et marchands établis peuvent parfaitement compter sur l'inertie de la machine administrative française, mais aussi sur la relative permanence des modes internationalement définies, en tout premier lieu par les États-Unis.

IDEES DIRECTRICES - Vive la peinture et la contestation !

Face à l'art contemporain qui néglige la peinture, faut-il se tourner vers l'art du passé ? " Visite Guidée et Hommages".

Souvenirs de Quétigny à travers la typographie et l'alphabet . "Abécédaire"

Vues de la Place Centrale à Quétigny et déclinaisons en "Perspectives".

Lorsque l'oeuvre littéraire de Saint-Exupéry sert de prétexte à tout un jeu d'ombre, de lumière et de modelés. "Déserts"

Quant à la sphère céleste, celle de l'esprit et du mystère, elle s'ouvre sur l'espace infini et sur les croyances de toutes sortes... "Petits Volumes et Religion"

LE MEDIUMII s'agit de peinture à l'huile sur toile, sans touche apparente et sans rupture dans les modelés. La manière ainsi que la matière s'effacent au profit du sujet et de l'image.